Mélancholie

 

 

Lorsque la nuit étend son pâle voile

Comme un linceul sur un sombre cercueil ;

Dans la noirceur quand apparaît l’étoile

Comme l’espoir dans un cœur plein de deuil.

 

Je vais, pensif, où le hasard me pousse,

Le front penché sous le poids des soucis ;

Et sous un toit que recouvre la mousse

Quand je suis las je cache mes ennuis.

 

Et là debout devant une fenêtre

Par où le jour ne peut qu’à peine entrer,

Plein d’amertume, oh ! je regrette d’être !

Et je voudrais dans la poudre rentrer !

 

Et son regard, à travers sa tristesse,

Voit s’écouler la foule des heureux !

Pareille aux flots qu’avec bruit et sans cesse

Roule au rivage un souffle impétueux !

 

Je vois passer, comme au jour d’une fête,

Quelques amis vêtus pompeusement,

Et qui de moi détournèrent la tête,

Que lit rougir mon humble vêtement !

 

Je vois passer, légère et palpitante

Comme une fleur que promène le vent,

Une beauté dont l’œil trompeur enchante

Et dont le cœur vous trahit sourdement !

 

Et je me dis : quel pouvoir vous emporte ?

Où courez-vous ainsi tant empressés,

Durant cette heure où le sommeil apporte

La douce paix dans les cœurs oppressés ?

 

Vous allez dire une ardente prière

Devant l’autel, au soir de chaque jour ?

Ou vous allez à la pauvre chaumière

Où la misère a fixé son séjour ?

 

Au malheureux que la peine désole,

Qui de la vie, hélas ! n’attend plus rien,

Allez-vous dire une tendre parole

Qui l’attendrit et lui fait tant de bien ?

 

Dans le réduit de l’indigente veuve

Entrerez-vous, Anges Consolateurs ?

Pour adoucir sa douloureuse épreuve

Verserez-vous avec elle des pleurs ?

 

Donnerez-vous à l’enfant qui supplie

Le peu de pain qui lui rend le bonheur ?

À l’orpheline à genoux et qui prie

Un léger don qui sauve son honneur ?

 

Hélas ! non ! non ! le seuil où la détresse

S’assied souvent pâle et toute en lambeaux,

Vous fait horreur, trouble votre allégresse,

Vous fait souffrir des supplices nouveaux !

 

De l’indigent vous fuyez la demeure :

Pour un cœur dur elle n’a rien de doux.

Au triste aspect d’un orphelin qui pleure

Vous souriez, ou montrez du courroux !

 

Que vous importe un soupir, une plainte

Que la douleur arrache au malheureux ?

De les ouïr votre oreille contrainte

Veut se fermer, car vous êtes heureux !

 

Et dans ces lieux où règne l’opulence

Vous étalez vos superbes atours ;

Vous oubliez les cris de l’indigence

Et vous chantez d’infidèles amours !

 

Chantez ! chantez ! pendant que l’on soupire

Dans le réduit que tant vous méprisez !

Chantez ! chantez ! et dans votre délire

Ne pensez pas qu’un jour vous gémirez !

 

 

 

Charles LÉVESQUE, 1858.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net