Prière pour un couple de vieillards
Pour ce couple vieilli que voici presqu’en bas
De la route insensible où les couples s’avancent
Et que voici déjà replongé pas à pas
Dans le brouillard plaintif des morts et des naissances,
Après tant de sombres combats ;
Pour ceux qui sont happés par la foule des morts
Devenus dans leurs cœurs de plus en plus vivaces
Et qui furent poussés vers le dos des décors
Par la bande écarlate et criant sur les places
Des vivants de plus en plus forts ;
Pour eux, jadis, criblés de tant d’aveuglements,
Qui virent déclinante et virent envolée
La troupe des désirs, la troupe des enfants,
Et puis ont entrepris, tout vides et pesants,
Leur double descente isolée,
Il faudrait qu’une voix très secrète intervînt...
Mon Dieu, faites-la sourdre au-dedans de leurs âmes
Pour leur souffler qu’ils n’auront pas souffert en vain
Et que les grands jours purs que leurs larmes réclament
Sont dans l’ombre de Votre main,
Qu’ils ont marché vraiment, tels de vrais voyageurs,
Qu’ils ne sont pas marqués de haine ou d’ironie
Et qu’ils gagnaient un monde aux pensives lueurs,
Tandis que se glaça leur chair grise et flétrie,
Et que leur mort ouvre leurs cœurs,
Et que la porte immense, et sans clés, ni verrous,
S’écarte au mot de passe apparu sur leurs lèvres
Et qu’ils vont respirer dans ce climat si doux
Où leurs frères, leurs sœurs se défont de leurs fièvres,
Qu’ils ont connus folles et fous !
Jean LOISY.
Recueilli dans Prier Dieu avec les poètes, Ecclesia.