Le Canada régénéré, et l’évêque de Nancy

 

 

Je m’étais dit : « Prions, hermite en ma cellule,

Apaisons par mes vœux le Seigneur irrité :

Il est besoin de grâce où le crime pullule,

Il est besoin de grâce à l’homme révolté.

Oui, prions, car Satan dans nos rangs se promène,

Épiant sa victime et lui forgeant des fers,

Satan qui convoiterait toute la race humaine

               Pour régner sur elle aux enfers ! »

 

Un soir, seul à coté de ma lampe nocturne,

Tenant mon crucifix de mes larmes mouillé,

Pendant que près de moi tout dormait taciturne,

Je fis cette prière, à terre agenouillé :

« Mon Dieu, jusques à quand pèsera l’anathème

« Sur ce peuple aujourd’hui si rebelle à ta voix,

« Hélas ne veux-tu plus qu’il t’adore et qu’il t’aime

               « Comme ses pères autrefois ? »

 

« Longtemps faut-il encor que l’erreur le séduise,

« Et le tienne en l’oubli de ta divine loi,

« Et que sur ma Patrie aucun espoir ne luise

« De la revoir enfin se convertir à toi ?

« Je t’en conjure, ô Dieu, que ta clémence daigne

« Arracher tes enfants de ce triste abandon,

« Et que le feu vengeur de ton courroux s’éteigne

               « Pour laisser pleuvoir le pardon. »

 

Louange au tout-puissant, gloire à lui soit rendue,

Que mille et mille voix chantent : « Qu’il soit béni ! »

Jusque dans son séjour ma prière entendue

À rallumé pour nous son amour infini !

Son bras a déployé sa puissance de père ;

Et réveillant des cœurs dans le crime endormis,

Il les a délivrés de l’infernal repaire

               Où les plongeaient leurs ennemis !

 

Un Pontife étranger que sa main nous envoie,

Apparaît parmi nous comme un ange du ciel,

Pour abattre le vice et conduire à la voie

L’infidèle brebis du bercail d’Israël.

Sa voix, sa voix d’Apôtre, éloquente et sublime,

À nos yeux déroulant ses terribles tableaux,

Y faisait entrevoir, à nos âmes l’abyme,

               À nos corps l’horreur des tombeaux.

 

Et puis, cette peinture affreuse était suivie

Du portrait ravissant de la douce vertu,

Dont l’homme qui lui voue et consacre sa vie

Comme d’un habit d’or aime à se voir vêtu.

Puis il énumérait les douceurs qu’on éprouve

De l’aimable justice en suivant le sentier,

Qu’en elle seulement le vrai bonheur se trouve

               Et se possède tout entier.

 

Puis pour encourager la nature fragile

À rechercher ces biens avec plus de ferveur,

Il offrait à nos cœurs les traits que l’Évangile

Rapporte de la vie et la mort du Sauveur ;

Pleurant dans sa naissance, obscur au premier âge,

Parmi le peuple en butte à l’injure et l’affront,

Et n’ayant au milieu du monde son ouvrage

               Pas même où reposer son front.

 

Puis il montrait les Juifs qu’au palais de Pilate

Pour tourmenter le Christ la rage transporta ;

Le sceptre de roseau,.... le manteau d’écarlate...

Et la pesante croix traînée au Golgotha,...

Le vinaigre et le fiel dont ses lèvres divines

Pour les péchés du monde ont voulu s’abreuver,...

Les mains, les pieds cloués, et le front ceint d’épines

               Du Dieu mourant pour nous sauver.

 

Et puis avec des mots dont la douceur entraîne,

Il loua les grandeurs de la Mère de Dieu,

Que les anges du ciel reconnaissent pour Reine,

Et que l’homme vénère et célèbre en tout lieu.

Et puis il exalta sa bonté maternelle,

Asyle toujours sûr et qui ne peut manquer

Au pécheur repentant qui se confie en elle

               Et met sa gloire à l’invoquer.

 

Saintement affamé de la parole sainte,

Le peuple abandonnant ses foyers et ses champs,

Accourt à flots pressés se ranger dans l’enceinte

Pour entendre l’Apôtre aux discours si touchants.

Les oracles du ciel éclatent de sa bouche,

Aux oreilles des cœurs sa voix vient retentir,

Et l’on voit, en tout lieu que la grâce les touche,

               Couler les pleurs du repentir.

 

Cités, bourgs et hameaux, tout a changé de face,

À l’ombre de la mort aucun n’est plus assis,

Le doute dans l’esprit du sceptique s’efface,

Et la ferveur renaît dans les cœurs endurcis.

Foi, confiance, amour et regret de tout crime

Ont vaincu le démon dont l’empire est détruit,

La vertu dans les mœurs facilement s’imprime

               Et fait bientôt germer son fruit.

 

Sur la terre, où trouver la lyre assez sonore,

La voix assez puissante et l’hymne assez parfait

Pour offrir au Seigneur un concert qui l’honore,

Autant que le mérite un si divin bienfait ?

Mon âme reconnaît ici son impuissance

À payer son tribut de juste et prompt retour,

Ma langue est inhabile à la reconnaissance,

               Le silence est mon chant d’amour !

 

 

 

Thomas-Jean-Jacques LORANGER, 1841.

 

Recueilli dans Les textes poétiques du Canada français,

vol. IV, Fides, 1991.

 

 

 

 

 

 

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