La genèse scientifique

 

 

                  .........................Malgré moi l’infini me tourmente

                  Je n’y saurais songer sans trouble et sans espoir

                  Et, quoi qu’on en ait dit, ma raison s’épouvante

                  De ne pas le comprendre et pourtant de le voir.

                                                            ALFRED DE MUSSET.

 

 

 

                                      I

 

POURSUIVONS la chimère en son suprême asile,

Et brisons sans retour son colosse d’argile

Que son éclat trompeur cesse enfin d’éblouir.

Remontons fièrement le cours sans fin des choses ;

Et pénétrons les lois de leurs métamorphoses :

Le merveilleux partout devra s’évanouir.

 

Constatons du hasard l’éternelle présence

Et d’un Dieu conscient l’universelle absence.

Non, non, l’ombre de Dieu n’apparaît nulle part :

Sur terre et dans les cieux, dans les temps, dans l’espace,

Dans la vie et la mort, on cherche en vain sa trace :

C’est l’atome toujours qui brave le regard.

 

L’atome explique tout ; c’est la réelle essence

Qui toujours en progrès devient toute existence :

Aux modernes mortels enfin l’atome a lui.

Pourquoi de l’absolu les effets et les causes ?

L’atome est le principe et le terme des choses ;

Tout provient de l’atome et se résout en lui.

 

L’atome est pénétré de puissances intimes

Qui le poussent sans fin vers des hauteurs sublimes :

Il ressent le besoin de marche et de progrès.

Il aspira d’abord au rang de molécule,

Après bien des essais créa l’animalcule

Et jusqu’à l’éléphant il monta par degrés.

 

N’avons-nous pas montré qu’une goutte de pluie,

Aux rayons du soleil s’élevant à la vie,

De l’insecte revêt l’auguste dignité ?

À l’insecte bientôt succède un mammifère,

Le singe s’élabore au sein de la matière,

Et les siècles aidant, devient l’humanité.

 

Ainsi nous l’admettons, – ô lumineuse idée !

La matière est féconde et n’est pas fécondée,

Et son sein maternel est seul générateur.

Saluons de nos vœux le moderne empirisme !

Ce système savant, c’est le végétalisme :

Désormais de la vie on connaîtra l’auteur.

 

La chaleur apparaît ! la fange se dilate,

Se boursoufle, et soudain l’embryon naît, éclate,...

Voilà l’intelligence et la moralité.

La vertu, l’espérance et l’amour et le vice,

Le désir de l’honneur, la soif du sacrifice...

Ô fange boursouflée ô grande humanité !

 

 

                                          II

 

Le miracle est chassé de l’embryogénie,

Déjà nous éditons notre cosmogonie

Et nous le voyons fuir de la création.

La Genèse du ciel et celle de la terre

Témoignent que la Bible est un mensonge austère,

Et qu’il faut de Moïse une autre édition.

 

Que si nous remontons toujours de phase en phase,

Nous retrouvons l’atome inerte en son extase

Rêvant, inconscient, l’éternel devenir ;

On voit ici régner la mécanique pure

Et d’un sommeil profond dort encor la nature

Couvrant ce qui peut naître et ne saurait mourir.

 

C’est ainsi qu’en plongeant dans l’océan des âges,

Et de l’erreur vulgaire écartant les nuages,

On se sent face à face avec la vérité.

Le hasard est donc là, couvrant d’une aile immense,

Dans chaque atome un germe, une vivante essence,

D’où jaillira sans fin toute réalité.

 

Mais tu devrais finir, ô mécanique pure !

Ainsi que l’exigeaient les lois de la nature,

Ainsi que l’ordonnait l’éternel devenir.

Ô prodige ! saisi d’une angoisse subite

Un atome éperdu va, vient, se précipite...

Atome, qu’as-tu donc ? Te faudra-t-il périr ?

 

Mais l’atome éperdu rencontre un autre atome ;

L’immensité tressaille et sort de son vieux somme ;

Le charme était rompu dans l’espace étonné !

Oh ! quels embrassements, quel étrange délire

Alors de la chimie ont acclamé l’empire,

Salué, proclamé l’univers nouveau-né !

 

Voyez ces tourbillons, ces terribles rafales !

Voyez aux quatre vents ces danses infernales,

D’atomes bondissants, fiévreux, vertigineux !

C’est le quatre-vingt-neuf du régime atomique ;

Tout devient molécule et le pouvoir chimique,

Gigantesque ouragan, plane victorieux.

 

Des atomes soudain cessent les saturnales.

Regardons-les groupes en masses colossales,

Projetant à la fois cent soleils radieux ;

Contemplons à leur tour les atomes solaires

Semant par milliers les globes planétaires

Et les astres errants, ces exilés des cieux.

 

Peuple, si tu comprends nos savantes paroles,

Que reste-t-il encor de tous tes vieux symboles ?

Que sont-ils devenus devant notre raison ?

Dans l’abîme des temps est-il quelques mystères

Que n’ont point dissipés nos modernes lumières ?

Plus loin que notre vue est-il un horizon ?

 

 

                                           III

 

Mais voyons maintenant les terrestres atomes

Lentement préparer la demeure des hommes :

Air, eau, pierre, vapeur, végétal, animal,

Montagnes, océans, plaines, vallons, collines,

Tout créer par des lois que l’on croira divines

Et qui sont les ressorts d’un devenir fatal.

 

Ainsi le mouvement, la chaleur, la lumière,

La vie et la beauté dans la nature entière,

Ordre, harmonie, éclat, sagesse, majesté,

Azur, vent, bruit des flots, chants de l’aube vermeille,

Ce qui ravit les yeux, ce qui charme l’oreille,

L’atome a tout produit dans son éternité !

 

L’atome a découvert les couleurs de la rose

Et de ces mille fleurs où le regard se pose,

Plein de ravissement, rêvant un paradis ;

Le rossignol chanteur, le perroquet frivole,

Le papillon ailé, cette fleur qui s’envole,

Le parfum de l’œillet et la robe du lis.

 

Il fit sortir du sol l’abeille qui butine,

Et la brebis qui bêle et le bœuf qui rumine,

Le chêne, le gazon, le ciron, l’éléphant,

Le zèbre qui bondit, la baleine qui nage,

L’ananas embaumé, le cygne au blanc plumage,

Le paon qui fait la roue, et l’aigle triomphant.

 

Que n’a-t-il point prévu, ce merveilleux atome !

Le froment généreux, ce pain qui nourrit l’homme,

Le vin qui le rend fier, intrépide, vaillant ;

Le lait, le dévouement, l’amour au sein des mères,

Le courage viril, la force au cœur des pères,

Qui fondent la famille et qui gardent l’enfant.

 

Que n’-a-t-il point trouvé ? Ce qu’il faut à la mousse,

Et d’ombre et de chaleur pour que son germe pousse,

Ce qu’il faut au sapin qui croit sur les hauteurs,

Et ce dont a besoin le petit oiseau-mouche,

Ce rubis voltigeant, pour que sa langue touche,

Sans les flétrir jamais, les nectaires des fleurs ;

 

Ce qu’il faut au regard pour contempler l’aurore,

Ce qu’il faut au gosier pour le rendre sonore ;

Pour respirer l’encens ce que veut l’odorat ;

Ce qu’exige le doigt pour sentir ce qu’il touche,

Pour broyer, pour goûter, ce qu’il faut à la bouche ;

Organisme savant, varié, délicat.

 

Que n’a-t-il point formé ? L’œil aux fines membranes,

Son iris coloré, ses milieux diaphanes,

Son picmentum obscur, son nerf épanoui,

Ses muscles, ses humeurs, sa légère pupille,

Son cristallin, ses cils, sa paupière mobile,

Ce globe, étincelant, radieux, inouï !

 

L’oreille, autre prodige, avec sa triple enceinte,

Son pavillon subtil, son profond labyrinthe,

Mystérieux séjour dans le rocher taillé :

Son agile tympan dont les fibres résonnent,

Et son souple étrier, son marteau qui frissonnent

Et transportent le son au nerf émerveillé.

 

 

                                         IV

 

Ô chimiste profond, ô le plus grand des hommes,

Toi qui comprends si bien ce que sont les atomes,

Toi qui les départis en diverses tribus,

Qui les sens sous tes doigts devenir molécules,

Qui les vois du progrès moteurs et véhicules,

Chante-nous leur puissance et dis-nous leurs vertus !

 

Raconte-nous comment ces chercheurs magnanimes,

Guidés par le hasard dans leurs essais sublimes,

Sont un jour parvenus à créer l’être humain ;

Bien qu’en face de nous il paraisse un peu gauche,

Le gorille sans doute est leur dernière ébauche :

On fut gorille hier, on est homme demain.

 

Raconte-nous comment les atomes gorilles

Ont senti le besoin de former des familles,

De cesser de grimper, d’arrondir leur museau :

Comment ces citoyens de l’ordre des primates

Ont pu tirer des mains et des pieds... de leurs pattes,

Et de leurs poils velus dépouiller le réseau.

 

Comment, par quel secret, sous quel magique empire

Leur grimace devint un gracieux sourire,

Leur cri rauque et confus des sons articulés,

Et comment les guenons de notre histoire antique

Ont rencontré les traits de la beauté plastique

Que Vénus de Milo nous garde modelés.

 

Comment, par quelle loi, quelle vertu subtile,

Les langues de David, d’Homère et de Virgile,

Des atomes humains merveilleux instruments,

Ainsi que tout langage entendu sur la terre,

Dérivent – c’est très sûr – sans ombre ni mystère...

Ne l’avons-nous pas dit ?... de lointains grognements.

 

Comment, par quel pouvoir, quelle loi virtuelle,

Immanente, chimique, atomique, éternelle,

Ce cri rauque et confus, ces grognements lointains,

De cervelle en cervelle et d’hégire en hégire,

De ressort en ressort, de délire en délire,

Deviennent de l’erreur les monuments certains.

 

Comment ces grognements de notre premier père,

Revus et travestis sont devenus prière,

Science, honneur, raison, conscience en tout lieu ;

Et comment ils ont pu faire croire à chaque homme

Qu’il est plus qu’une brute ou qu’un singe... qu’en somme

Il était immortel et qu’il existe un Dieu.

 

 

                                           V

 

Chimiste, montre-nous que l’esprit est un songe ;

Le vice, la vertu, la morale, un mensonge :

Que le surnaturel n’est qu’une illusion :

Que le bœuf à pas lourds allant à la fontaine,

Et Colomb pressentant une plage lointaine,

Suivent du même instinct l’infaillible rayon ;

 

Que l’homme est insensé, si son regard mesure

Des horizons plus hauts que ceux de la nature,

Si de l’ombre imparfaite il conclut au parfait ;

S’il ne se soumet point au moderne axiome :

Les miracles sont vrais s’ils viennent de l’atome,

Les miracles sont faux si c’est Dieu qui les fait ;

 

Que tout être est pour soi la seule providence :

Dans le sein de la mort il n’est pas d’espérance,

Au-delà de la fosse il n’est pas d’avenir ;

Que le mortel sensé doit savoir se résoudre

À périr sans retour dans la fange et la poudre,

À se voir tout entier et dissoudre et pourrir ;

 

Que le prêtre est absurde et conte des chimères,

Qu’il ne doit plus bénir la cendre de nos mères :

L’homme est un animal qu’il nous faut enfouir.

De la religion dévoilons l’artifice ;

Que parle-t-elle encor du ciel, de sacrifice ?

Le réel se dévoile et l’erreur va finir ;

 

Qu’il faut vivre sans foi pour mourir sans alarmes ;

Heureux l’homme qui dit : Le néant a des charmes !

Je sais que dans son sein je dois m’évanouir ;

Des jeux de mon cerveau l’âme est la résultante,

J’attise de mes sens la flamme dévorante,

Et pour moi le seul mal est de ne pas jouir !

 

Du culte de l’atome il faut savoir déduire :

Assouvir dans son cœur la fureur de détruire,

Immoler au présent l’espoir de l’avenir ;

Ce sont mes droits nouveaux ! La vie est un délire,

De toute passion légitime est l’empire :

Je veux jouir sans frein ou tout anéantir.

 

 

                                         VI

 

Voilà de l’univers la moderne Genèse :

L’atome est le grand Tout, l’éternelle synthèse ;

Lui seul a tout créé, lui seul est tout puissant.

L’atome est le seul Dieu que la science adore :

Elle voit tout en lui, tout par lui s’élabore ;

Deux mots résument tout : l’atome et le néant.

 

Des abîmes des cieux aux abîmes des hommes,

Des profondeurs des temps jusqu’aux temps où nous sommes

Recueillant du réel les rayons dispersés,

Partout nous rencontrons l’atome au fond des choses

Et découvrons en lui les effets et les causes ;

Il nous répond toujours : « Moi seul, et c’est assez ! »

 

S’il n’eut dans le passé qu’un éclat pâle et terne,

C’est qu’il ne brillait point dans un cerveau moderne :

Les hommes jusqu’ici furent hallucinés :

Partout d’un Dieu présent ils croyaient voir la trace ;

La nature n’était que l’ombre de sa face,

Et pour vivre immortels leurs cœurs se sentaient nés.

 

Ils se disaient : Le corps se dissout, mais notre âme,

Souffle matériel, esprit, céleste flamme,

Distincte de nos sens, survit à leurs débris ;

Un horizon sans fin, surnaturel, immense,

S’offrait à leur regard, flattait leur espérance :

Ils craignaient un enfer, voulaient un paradis.

 

La justice à leurs yeux était juste et certaine ;

Le bien avait son prix, et le crime, sa peine ;

Du vrai, du beau, du mal ils distinguaient le sens ;

Et qu’on leur eut parlé morale indépendante :

C’est le vice présent et la morale absente !

Se seraient écriés ces hommes du vieux temps.

 

Si quelque fou disait dans son humeur morose :

On trouve dans l’effet ce qui manque à la cause ;

Du mouvement fatal jaillit la liberté ;

L’amour est le reflet d’une insensible essence ;

De l’aveugle matière éclot l’intelligence,

Et de l’impersonnel la personnalité.

 

Ils ne s’enivraient point d’une phrase sonore ;

Ils poursuivaient l’idée et non la métaphore ;

Ils étaient tourmentés du mal de l’infini ;

Ils créaient le grand art, celui des Michel-Ange,

La grande poésie, écho pieux, étrange,

Pareil au chant lointain de quelque dieu banni.

 

 

                                   VII

 

Avec leur vaste amour aux œuvres gigantesques,

Seraient-ils la nature, et nous... les romanesques !

Nous mutilerions l’homme et le ferions mentir !

Nous, modernes savants, dont la ferme sagesse

Émerveille la terre et la remplit d’ivresse !

Nous, gloires du présent, astres de l’avenir !

 

Non, non, ils étaient fous, puisque nous sommes sages ;

Nous contemplons le jour, ils voyaient des nuages ;

Ils seraient du progrès les immortels géants,

Et nous... les vagabonds ! La raison souveraine

Nous aurait aveuglés sur la nature humaine !

Les hommes du passé seraient de vrais voyants !

 

Et leurs pressentiments qu’ils appelaient sublimes,

Célestes, ne seraient que d’immenses abîmes,

Où se révèle un Dieu qu’il faut craindre et bénir !

Et des peuples la foi serait la loi suprême !

Et sur eux de la mort tomberait l’anathème,

S’ils voulaient de ce Dieu perdre le souvenir !

 

Non, non !... ils avaient tort de se croire des hommes,

De porter leur passé au-delà des atomes,

D’allonger par leurs vœux leur rayon visuel ;

Et Colomb se trompait lorsque sa foi profonde,

Au sein de l’Océan lui découvrait un monde ;

Il se trompait encore en pressentant le ciel.

 

Que nous resterait-il, s’ils étaient la science ;

S’ils avaient mieux que nous compris l’humaine essence,

S’ils n’avaient point été les jouets de l’erreur ?

Oui, nous aurions raison d’insulter leur mémoire ;

Nous serions trop obscurs pour supporter leur gloire ;

Nous serions trop petits devant tant de grandeur.

 

 

                                        VIII

 

Mais non ; dans le passé tout est mythe et légende.

Et de l’humanité la méprise fut grande

De vouloir pour appui ce qui n’existe pas ;

Nous allons lui donner une robuste base :

Les principes, nouveaux, l’atome et notre phrase :

Sur ce puissant trépied s’affermiront ses pas.

 

Notre génie a vu que tout était fragile

Dans ce vieux monument qu’on nomme l’Évangile,

Et Bossuet croyait à sa solidité !

Aujourd’hui la raison a dissipé les ombres,

Et nous marchons enfin sur les vastes décombres

De ce temple inouï, deux mille ans respecté !

 

De Jésus adoré nous avons fait un homme,

Un homme comme nous, émanant de l’atome,

Et devant au gorille un culte filial ;

L’antique vérité se déclare outragée,

En appelle à l’histoire et veut être vengée ;

Mais l’histoire pour nous n’est plus un tribunal.

 

De par notre savoir, de par notre critique,

Le signe du divin ne peut être authentique ;

En vain protesteraient l’histoire et le bon sens ;

Ainsi que l’établit notre libre pensée,

Le bon sens est absurde et l’histoire insensée :

Le vrai n’est sécrété qu’en nos cerveaux puissants.

 

Oui, oui, jusques à nous l’histoire fut fictive :

Quand nous l’aurons revue et faite positive,

Quand, par les procèdes que nous avons posés,

Elle confirmera nos éternels systèmes,

Alors nous l’admettrons dans nos savants problèmes :

Ses fastes jusque-là sont par nous récusés.

 

Nous ne voulons y voir ni dogme ni miracle,

Ni famille, ni Dieu, ni rien qui fasse obstacle

Au grand avènement du monde positif ;

Son témoignage ainsi sera vraiment critique,

Parfaitement loyal, éclairé, véridique,

En un mot, avec nous, toujours affirmatif.

 

Le dogme ! maintenant nous savons qu’il commence,

Qu’il finit comme veut notre libre science,

Et que jamais un Dieu ne nous le révéla ;

Le miracle, dit-on, ce siècle le constate ;

Qu’importe ! puisque Dieu n’est plus de notre date :

Tout est dans la nature et rien n’est au-delà.

 

Tel est notre axiome, il faudra s’y soumettre :

Les hommes et les faits devront le reconnaître,

Et, s’il existe un Dieu, qu’il le confesse aussi !

Et qu’il devienne atome ! Alors de ses prodiges

Nous saurons retrouver les glorieux vestiges

Et nous dirons partout : Le divin est ici.

 

Un être personnel, pratiquant la justice,

Commandant la vertu, la foi, le sacrifice,

Vraiment notre raison n’admettrait pas ceci ;

Mais si l’on annonçait que là-bas quelque atome

Achève sur-le-champ d’engloutir un royaume,

Nous prouverions fort bien qu’il doit en être ainsi.

 

Nous aurions nos ressorts et nos lois mécaniques,

Nos secrets des milieux, nos vertus magnétiques,

Le hasard, le phosphore ou bien l’élection,

L’éternel devenir, le besoin, l’habitude,

Et sur l’évènement nous ferions une étude

Où l’on admirerait notre érudition.

 

Oh nous étonnerions sans doute les deux mondes

Par nos grands aperçus, nos lumières profondes,

Brillant sur mille points... d’interrogation :

Qui sait ? Probablement ? Peut-être ? Mais sans doute ?

Qui pourrait le nier ? Ainsi, de route en route

Nous toucherions enfin à la solution.

 

Et nous de proclamer notre grande victoire,

Le progrès, la valeur, la sagesse et la gloire,

De l’homme de ce temps qui peut tout accomplir,

Et sait montrer que Dieu n’est pas dans la nature,

Que tout est créateur, que tout est créature,

Que tout devient toujours, que tout doit devenir ;

 

Et nous, de la railler, l’humanité crédule,

D’affirmer que la Bible est par trop ridicule,

Et nous, d’en appeler à l’heureux avenir ;

Et de conclure enfin par ces graves paroles,

Qui doivent remplacer les antiques symboles,

Et que tout l’univers est tenu d’applaudir :

 

Il est donc bien tombé cet immense édifice

Dont la crainte et l’espoir, l’erreur et l’artifice

Avaient dans le passé jeté les fondements :

Nous avons renversé sa dernière colonne,

Et dans le Saint des saints notre audace rayonne ;

Rien n’est vrai ni sacré que nos enseignements !

 

 

 

Frère LOUIS.

 

Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,

publié par Charles Buet, 1889.

 

 

 

 

 

 

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