La barque de mon rêve

 

 

J’ai bien souvent rêvé, jadis, dans mon enfance,

D’une barque arrimée au gré de mon désir.

Elle avait la candeur des ailes sans défense,

La vision d’un monde accru que rien n’offense

Et le sens d’un ciel libre où l’essor peut choisir.

 

Cette barque était belle, attachée au rivage,

Empreinte du mystère attirant des lointains !

Sa blanche voile au cœur imposait le voyage

Rien qu’en se déployant dans l’azur d’un sillage

Qui répandait la vie au gré de mes destins.

 

Elle sentait, le jour, les gemmes éclatantes

Des colliers de la mer l’entourer de leurs feux !

Elle entendait, la nuit, les sirènes chantantes

Auprès du sable fin des plages cahotantes,

Sous la charge des flots, l’inviter à des jeux !

 

Et moi qui la voyais comme on perçoit la force,

Qui la voulais happée – et les cheveux mêlés

Des eaux la soulevant déjà comme un grand torse –

Qui la devinais prise à mimer son divorce

D’avec la plage mauve et les galets foulés,

 

Silencieux et froid comme on l’est dans ma race,

Rude fils de marins n’ayant pas peur des flots,

Je sentais sa mâture et sa précoce masse

Aux grands claironnements des sons bleus de l’espace

Entrer jusqu’à ma chair la foi de ses crédos.

 

Aussi, quittant le port au jour qui rompt la chaîne,

Elle risqua sa chance aux rochers affrontés,

Ma barque de lumière épousant chaque haleine

Des grands vents de la mer, avec, dans sa carène,

Ce jeune appel du large à tous mes vœux portés ;

 

Et, dans le fauve attrait du séjour qui ruisselle

Comme un pur diamant qu’allonge l’horizon,

Elle fut l’effort lent que la course bosselle

Que le risque appauvrit, que le malheur harcèle,

Ma pauvre barque ailée a du bleu par frisson :

 

Ainsi, les grands vaisseaux abandonnés des hommes,

Flottant toujours pour eux sur l’infini des eaux,

Pauvres espoirs dolents et muets sur la somme

D’indifférence, d’ombre et d’épreuve qu’ils nomment

Le prix de leur essor, s’en vont, frêles roseaux !...

 

Mais du vieux port normand où les clochers en nombre

Ont affirmé jadis à Malherbe l’aïeul

Que 1a gloire appartient aux grands efforts dans l’ombre

Ainsi qu’à l’absolu du temps que rien n’encombre,

Ma barque est déjà loin, puissance et fleur d’orgueil ;

 

Et, dans l’aujourd’hui fort qu’elle découvre, où joue

Pourtant le Mal du Temps devant les horizons,

Avec toute sa foi dans un ciel qui renfloue,

C’est le signe de Dieu de la poupe à la proue

Qui la pousse à jamais avec mes cargaisons !

 

Dans le matin des jours, elle passe et repasse.

Dans le calme des nuits, on voit continuer

Son long voyage empli des amours de l’espace

Qu’elle destine à l’Homme et que sa voile amasse

Comme un don qu’on commence à voir et saluer

 

Et, comme ces vaisseaux aux carènes puissantes

Cinglant avec l’horizon des grands espoirs humains,

Elle est presque un accent des mers ensorcelantes

Que par les jours d’embruns les vagues menaçantes

Soulèvent hardiement du fond des lendemains.

 

 

 

Wilfrid LUCAS.

 

Paru dans Art et poésie, reflets poétiques de l’ethnie française,

Anthologie des membres titulaires, agrégés d’honneur de la

Société des poètes et artistes de France,

sous la direction littéraire de Henry Meillant,

Jean Grassin éditeur, 1968.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net