Ô mon âme !
(INÉDIT)
Buvons, mangeons, vivons en joie !
Vivre autrement, c’est vivre en sot ;
Du néant nous serons la proie ;
On l’a prouvé, Dieu n’est qu’un mot.
Le sentiment qui chez nous vibre,
Plaisir ancien, plaisir nouveau,
Ne résulte que d’une fibre
Remuée au fond du cerveau.
Cependant, ô mon âme,
Tout bas j’en fais l’aveu :
Je crois que votre flamme
Est un rayon de Dieu.
Sans toit, sans habit et sans linge,
Un bâton noueux à la main
L’homme, autrefois, était un singe ;
Sait-on ce qu’il sera demain ?
D’insensibles métamorphoses
Ont formé le vaste univers ;
Telle est la nature des choses :
Lucrèce l’exprime en beaux vers.
Cependant, ô mon âme,
Tout bas j’en fais l’aveu :
Je crois que votre flamme
Est un rayon de Dieu.
Si Caton, le héros d’Utique,
Évitant un joug odieux,
Se tua pour la République
Afin de faire honte aux Dieux,
Ce fut par une erreur sublime
Que depuis on n’imite pas.
À quoi bon la vertu, le crime
Si rien ne survit au trépas ?
Cependant, ô mon âme,
Tout bas j’en fais l’aveu :
Je crois que votre flamme
Est un rayon de Dieu.
Sur nous, nulle puissance amie
Ne veille dans l’éternité ;
Les prodiges de la chimie
Remplacent la divinité ;
La terre, en l’espace lancée,
A d’impénétrables secrets,
Car nous lui devons la pensée
Qu’elle-même n’aura jamais !
Cependant, ô mon âme,
Tout bas j’en fais l’aveu :
Je crois que votre flamme
Est un rayon de Dieu.
Hippolyte LUCAS.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.