Action de grâce pour l’existence
Ah ! Seigneur Dieu ! Soyez loué et béni, car l’homme doit se réjouir beaucoup de ce qu’il est en être et n’est pas privé d’être. Nous, qui avons la certitude d’être réellement, réjouissons-nous-en ! Les cinq sens manifestent que nous sommes en être, car nous voyons avec les yeux, avec les ouïes nous entendons, odorons avec le nez, savourons avec la bouche et sentons avec la chair.
Nous nous réjouissons beaucoup de ce que nous sommes en être, Seigneur, car cela vaut pour nous bien mieux que de n’être point en être.
Or donc, Seigneur miséricordieux, sachant en vérité que je suis en être, voyant qu’il n’y a en mon être la moindre privation, je dois me réjouir tant, qu’il n’y ait plus en moi la moindre tristesse.
Ô vraie lumière, splendeur des justes ! Si les hommes ressentent du plaisir et de la joie à la vue des arbres chargés de feuilles, de fleurs et de fruits, à la vue des rivières et des prairies et des bois, ils doivent se réjouir d’eux-mêmes, voyant et sachant qu’ils sont en être, car celui qui se réjouit de la beauté et de la bonté qui est au-dehors de lui, doit se réjouir aussi de celle qui est en lui.
Ainsi, Seigneur, puisque nous avons une raison si grande de nous réjouir, sachez que nous nous réjouirons tant et si profondément, qu’à cause de notre grande joie nous croirons rêver lorsque nous imaginerons le grand bien qui est en nous parce que nous sommes en être.
Votre serviteur Vous rend donc louanges et grâces, Seigneur Dieu, d’avoir remis dans sa mémoire et dans son cœur la joie qu’il doit avoir de son être, parce qu’il n’est pas en non-être.
Ah ! Seigneur Dieu glorieux et merveilleux ! Qu’il est joyeux, en se réveillant, celui qui rêvait d’être mort ! Ainsi devons-nous être joyeux, Seigneur, lorsque nous voyons que nous sommes en être.
De même que l’homme en état d’ivresse est saisi avec tant de violence par la force du vin qu’il garde à peine sa raison, de même, Seigneur, ma joie d’avoir l’être est telle, que je suis presque hors de moi.
Et je suis si joyeux, Seigneur, que de joie et d’allégresse je me fais une demeure, et une chambre, et un lit, et des vêtements et un chaperon.
Ah ! Saint des saints ! Quand il m’advient de penser à l’avènement de mon être et que je vois que l’être humain est le plus noble que Vous avez créé, je suis heureux et satisfait, et merveilleusement joyeux.
Seigneur Dieu ! Nous voyons que les bêtes se réjouissent, car nous les voyons courir, sauter, jouer. Et nous voyons que les oiseaux se réjouissent en chantant et en volant dans l’air ; et nous voyons que les poissons jouent, en nageant dans la mer. Et si ces animaux qui ne Vous connaissent point se réjouissent, combien plus devons-nous être joyeux !
Raymond LULLE, Livre de Contemplation.
Traduit par Louis Sala-Molins.
Recueilli dans Cinq mille ans de prière,
textes choisis et présentés par Dom Pierre Miquel,
Desclée De Brouwer, 1989.