L’arbre d’or

 

 

Tu ne nous défends pas de te voir en un arbre,

        Ô mon Dieu, ce sont là tes lois.

Tout ce que tu créas porte un signe de toi,

        La vie ruisselle dans un arbre.

 

        Languissant et faible parfois,

        Si j’embrasse un tronc centenaire,

C’est une fois de plus, ô mon Seigneur, ta voix

        Que j’entends et qui me pénètre.

 

        Et c’est bien ta force, ô mon Dieu,

Qui fait couler la sève en un arbre puissant,

        Qui se mêle au cours de mon sang,

        Qui met la joie dans mes yeux.

 

 

                  I

 

Être un arbre sous le ciel

Près de l’éclair éternel

Qui jaillit de tes deux yeux !

Être à ton ombre, ô mon Dieu,

Un arbre où vole l’oiseau,

Un arbre dont le rameau

Soit lavé de pluie souvent,

Soit enveloppé de vent,

Soit lisse, puissant et pur,

Soit traversé par l’azur

Et habité par les anges !

Arbre d’or et de louange,

Arbre toujours renaissant,

Arbre fécond et vivant

Qui te donne fleur et fruit,

Et pour qui jamais la nuit

Ne soit épaisse ténèbre ;

Arbre comparable au cèdre

Dont Salomon te bâtit

Un temple qui n’eût péri

Si toi-même, de ta main,

Tu n’eus mis sur son chemin

Rome et son feu dévorant

Comme un juste châtiment.

 

Préserve-moi d’un courroux

Qui fait plier les genoux

Au plus robuste en l’arène,

Lorsque ta main souveraine

Vient peser sur son épaule.

Ô, demeure-moi le pôle

Où tend la force inconnue

Que de toi seul j’ai reçue ;

Qui s’appelle Poésie

Et que les hommes renient,

Qu’ils blasphèment, qu’ils outragent

Avec cette même rage

Que jadis ils déployèrent

Contre toi, sur le Calvaire,

Et qu’ils ont déjà montrée

Contre le divin Orphée,

Ton prophète et précurseur

Avec Jean le Baptiseur.

 

Quand l’esprit s’agite en moi,

Dieu, c’est toi que je reçois !

Comme la Sibylle écume

À Delphes ou bien à Cumes,

Moi, au contraire, envahi

Par un bien-être infini,

J’entre en la conversation

Du monde, en disant ton nom.

Tout me parle et se révèle :

C’est une rumeur nouvelle,

C’est une sorte de danse

Où l’insecte qui tournoie,

Où le globe et sa cadence

Et son innombrable joie,

Tiennent une même place ;

Où je vois s’ouvrir l’espace

Comme un voile se déplie ;

Où les secrets de la vie

Demeurés encore obscurs

Ne sont plus pourtant le mur

Où ma tête se frappait

Quand je ne te connaissais.

 

Que sera le Paradis

Si déjà pour tes seuls fils

Encor demeurés sur terre

Tu ouvres de tels mystères !

Si tu dis ces douces choses

Qui sont l’odeur de la rose

Respirée en un parterre !

Qui nous forcent à nous taire,

Puis ensuite à te louer !

Qui sont un avant-goûter

Des délices infinies

Semblables, épanouies,

À la fleur que je nommais ;

Qui sont des célestes mets,

Et, mieux qu’aucune ambroisie,

Le délice de l’hostie

Quand notre cœur, par les lèvres,

Reçoit une douce fièvre

De te connaître et te voir,

Dieu dont nous est un miroir

Dès avant l’Éternité,

L’Univers et sa beauté !

 

 

                  II

 

Au milieu de mes combats,

Toujours, mon Dieu, tu m’abats

Et toujours tu me relèves.

Ô fils d’Adam et fils d’Ève

Que je suis, si incertain

Dans ma marche, sans ta main !

 

Comme un champignon mauvais

En peu d’instants croît et nuit,

Ainsi du jour à la nuit

Croissent en moi des pensers

Qui tendent à te déplaire

En marquant une souillure

Sur ta faible créature.

Ô Dieu, ce n’est ta colère

Pourtant, alors, que je vois :

Plutôt ton immense amour,

Sachant que tu es toujours

Ensemble le roi des rois,

Immuable, fixe et beau,

Et le pasteur sous le faix

De celle qui s’égarait

Des brebis de son troupeau

Pliant encore une fois.

Tu la joins aux lieux déserts ;

Alors, douce, elle revient

Manger le sel dans ta main,

Et plus elle ne se perd.

Alors elle entend ta voix,

Alors elle t’aperçoit,

Et lasse, elle s’abandonne

Entre tes bras, et sent bien

Qu’elle est en un sûr chemin.

Ainsi ce matin d’automne,

Je te retrouve, ô mon Dieu,

Au fond d’un vallon sauvage,

Quand je regarde les cieux

Où transparaît ton visage.

 

 

                  III

 

Non pas rejetant la chair,

En usant pour ton service,

Seigneur, garde-moi du vice !

Fais que me paraisse amer

L’aliment à rejeter.

Donne-moi la volupté

Qui peut aider ton dessein.

Que je dorme sur le sein

Qui donne postérité

À ceux que tu nommes fils

De ton Fils et Trinité.

Accorde-moi une femme

Qui soit de ton Évangile.

Fais brûler en moi la flamme

De Jacob et de Tobie

Pour l’épouse se parant

Mieux que d’or ou d’argent

De ce collier de ta Grâce

Qui tous les autres efface !

Fais qu’elle enchante mes yeux

Et me soit le plus précieux

Des dons par toi départis.

 

Fais que je repose en elle

Comme au sein d’un sûr pays

De fontaines éternelles

Et de champs toujours féconds.

Fais que mon habitation

Prenne d’elle un ornement

Tel que sans fin je m’y plaise

Et t’y chante en tout moment,

Même à une heure mauvaise

Qui m’apporterait le deuil.

Fais que toujours au beau seuil

D’un foyer, non sur le sable,

Mais sur le rocher assis,

Comme un rayon de midi

Soit la joie inaltérable

Donnée abondante à ceux

Nommés les enfants de Dieu.

 

Bénis-moi dans ma personne,

Dans ma femme et mes enfants,

Que jamais pour moi ne sonne

L’heure et jour du châtiment !

Que ton œil avec amour

Se porte sur moi toujours

Et s’y repose avec calme :

Comme après la Création

Entre les feux et les palmes

Qui te servent de rayons,

Tu regardais dans ta gloire,

Fixe, immense, et sans passé,

Un univers dont l’histoire

Ne faisait que commencer.

 

C’est ce globe où je ne suis

Pas plus qu’un grain dans le fruit

Lisse et dur de l’églantier.

C’est la terre que tu juges

Et tu dois souvent châtier,

Molle et fétide qu’elle est

Toujours de l’eau du déluge,

Et de la boue dont tu fis

Adam avec tous ses fils

Dont nous conservons la race.

Telle, elle a gardé la trace

D’une origine grossière.

Et nous, enfants de la terre,

Si nous ne levons les yeux

De la profondeur des eaux

Vers la profondeur des cieux,

Que sommes-nous qu’un troupeau ?

 

S’il en est ainsi sur terre,

S’il faut que la boue altère

L’onde même la plus pure,

Seigneur, sois ma garde sûre !

Ne me range avec les boucs,

Mais avec ceux à ta droite

Qui te louangent debout

Plus brillants que les étoiles !

Dès cette terre, ô mon Dieu,

Que je sois nommé ton fils,

Et baigné du sang précieux

Découlant du crucifix

En piscine à l’alentour,

Où s’assemble un peuple saint

Mieux à l’abri du larcin

En l’espoir de son salut,

Qu’en la plus solide tour

Du plus haut château qui fût.

 

Et me sois avec ma garde,

Ma liesse habituelle !

Et une douceur mortelle,

Dieu, lorsque tu me regardes !

Une chère défaillance,

Un abandon en tes bras

Où je repose en confiance,

Sachant par expérience

Que tu n’abandonneras

L’agneau dont le poil est ras

Sur le dos et sous le ventre.

 

Et te plaise un jour qu’il entre

Dans l’ineffable prairie

Où c’est lumière et féerie,

Douceur et suavité,

Réconfort, joie et clarté !

 

 

 

André MABILLE DE PONCHEVILLE, Nord et Midi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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