À Jeanne d’Arc
Comme, pour peu qu’elle sourie,
Une frêle étoile, souvent,
Enchante et calme la furie
Des vagues hautes sous le vent,
Jeanne, ton image bénie
Reparaît sur nous : l’harmonie
Succède aux tumultes épais ;
Dans le ciel, vibrant de concorde,
Un orchestre invisible accorde
La lyre immense de la paix !
Nous, les races nouvelles nées,
Dont les mains, prêtes aux travaux,
Feront s’ouvrir, dans peu d’années,
La porte des âges nouveaux,
Nous t’apportons nos âmes, pleines
Du printemps qui rit dans les plaines,
Nous t’apportons, joyeux, vainqueurs
Des vaines tristesses passées,
Tous les essors de nos pensées,
Tous les battements de nos cœurs !
Là Patrie est presque écroulée...
Dans la prière et dans les chants,
Jeanne a grandi, fleur de vallée,
Plante forte et douce des champs.
Elle livre son âme aux ondes
Des cloches graves et profondes ;
Quand elle va par les chemins
Pleins de lueurs surnaturelles,
Les rossignols, les tourterelles
Se posent au creux de ses mains.
Mais les cloches, ni les mésanges,
Ni les brises n’ont cette voix ;
Ce sont les saints, ce sont les anges
C’est Dieu lui-même, cette fois :
« Va ! lève-toi ! Va vers la France !
Sois le souffle de l’espérance !
Sois l’élan qui brise les fers ! »
Les roses s’envolent fanées,
Renaissent, meurent... Trois années,
Elle parle aux cieux entr’ouverts.
Si jamais elle ne s’élance
Aux rondes joyeuses s’unir,
C’est qu’elle regarde en silence
Monter vers elle l’avenir
Où nul foyer ne se devine,
Nulle apparition divine
De berceaux qu’on va balançant,
Mais cris de guerre, éclairs d’épées,
Et, dans le fond, par échappées,
Un grand ciel rouge, flamme et sang !
Elle se lève... L’heure sonne !
Elle est en marche... Sur ses pas,
Un lever d’aurore frissonne !
Tout soudain se rue aux combats !
Elle va comme une tempête ;
Le doigt de Dieu luit sur sa tête ;
Le sol vomit l’envahisseur ;
Un peuple mourant ressuscite...
Prodiges pour qui Dieu suscite
Une vierge aux yeux de douceur !
Puis l’apothéose... La flamme,
En lion qu’on vient de lâcher,
L’étreint, la dévore, mais l’âme
Plane sur les feux du bûcher.
Et, s’éveillant comme d’un rêve,
Un long tressaillement soulève
La France qui se reconnaît
Dans la vierge qui meurt pour elle...
Ô minute surnaturelle !
Jeanne expire, et la France naît !
Ô France, si ta destinée
À pu, d’âge en âge, grandir,
Et, malgré la brume obstinée,
Toujours plus haute resplendir ;
Si d’une clarté sans seconde
Tes lis ont ébloui le monde ;
Du choc de tes explosions
Si, soulevant la terre esclave,
Tu fécondas d’un flot de lave
Le sol des vieilles nations ;
Si, plus épiques qu’Alexandre,
Tes fils ont partout, sabre au clair,
Aux poussières mêlé leur cendre,
Ton génie aux souffles de l’air ;
Si d’un égal vol, dans l’histoire,
S’élèvent les soleils de gloire
D’Austerlitz et de Marengo,
Et, constellations sacrées,
Les strophes, sombres ou nacrées,
De Lamartine et de Hugo ;
C’est parce que cette bergère
S’est levée à l’appel de Dieu,
Un jour dans la saison légère
Où vivre est doux sous le ciel bleu,
Et, tandis que des jeunes roses,
Comme aujourd’hui fraîches écloses,
Éclataient les vives couleurs,
Par la montagne et la vallée,
Droit au devoir s’en est allée
De Domrémy vers Vaucouleurs !
Ébranlez donc au loin l’espace,
Cloches, au doux bruit de son nom !
Devant son souvenir qui passe,
Éclatez, salves de canon !
Gloires, victoires embrasées,
De vos ailes entrecroisées
Couronnez ce front triomphant,
Et jetez à ses yeux vos gerbes !...
Vous êtes toutes, ô superbes,
Les filles de cette humble enfant !
La France, du brasier farouche,
A surgi, quand tu t’affaissais ;
Jeanne, le souffle de ta bouche
Est l’âme du peuple français !
Au céleste fleuve trempée,
Pleine pour le verbe ou l’épée
D’un génie aussi glorieux,
Restes-en, toi qui l’as pétrie,
Vierge, mère de la patrie,
Le symbole victorieux !
Nobles, rois, quand tout ploie et tombe,
Le ciel, pour rompre les liens,
Arracher sa proie à la tombe,
Évoque tes bras plébéiens.
Ta race, au fond des cœurs chrétienne,
À la vieille foi qui fut tienne
N’a pas encore dit adieu ;
Pour la suprême délivrance,
Nous, comme toi, notre espérance,
C’est le peuple, ô Jeanne, et c’est Dieu !
Tu seras, ô libératrice
Dont l’astre vient de resurgir,
La radieuse inspiratrice
De ceux demain qui vont agir !
La guerre sainte est rallumée,
Parais sur le front de l’armée,
Comme un ange au brûlant essor :
Nous combattrons, ivres de joie,
Mais devant nos lignes déploie
L’étendard de tes cheveux d’or !
Et quand la Paix universelle
Fleurira, tu seras un jour
Sa patronne encore, ô Pucelle,
Sainte guerrière de l’amour,
Qui préférais les champs aux armes,
Et l’ombre tranquille des charmes
À l’ombre fière des drapeaux,
Jeune fille de candeur pleine,
Petite fileuse de laine,
Humble gardeuse de troupeaux !
Nous t’aurons pour chef et pour reine,
Comme aux jours du grand souvenir !
Et nous irons, l’âme sereine,
Emporter d’assaut l’avenir,
Jeanne, si nous voyons encore,
Là-haut du côté de l’aurore,
À l’horizon, d’éclairs zébré,
Tel qu’au fond d’or de nos histoires
Entraîner la France aux victoires
Ton cheval en pleins cieux cabré !
Xavier de MAGALLON.
Paru dans L’Année des poètes en 1896.