À ma navette
Cours devant moi, ma petite navette,
Passe, passe rapidement !
C’est toi qui nourris le poète,
Aussi t’aime-t-il tendrement.
Confiant dans maintes promesses,
Eh quoi ! j’ai pu te négliger...
Va, je te rendrai mes caresses,
Tu ne me verras plus changer
Il le faut, je suspends ma lyre
À la barre de mon métier ;
La raison succède au délire,
Je reviens à toi tout entier.
Quel plaisir l’étude nous donne !
Que ne puis-je suivre mes goûts !
Mes livres, je vous abandonne...
Le temps fuit trop vite avec vous.
Assis sur la tendre verdure,
Quand revient la belle saison,
J’aimerais chanter la nature...
Mais puis-je quitter ma prison ?
La nature... livre sublime !
Le sage y puise le bonheur,
L’âme s’y retrempe et s’anime,
En s’élevant vers son auteur.
À l’astre qui fait tout renaître
Il faut que je renonce encor ;
Jamais à ma triste fenêtre
N’arrivent ses beaux rayons d’or
Dans ce réduit profond et sombre,
Dans cet humide et froid caveau,
Je me résigne comme une ombre
Qui ne peut quitter son tombeau.
Qui m’y soutient ? c’est l’espérance,
C’est Dieu, je crois en sa bonté ;
Tout fier de mon indépendance,
J’y retrouve encor la gaîté.
Non, je ne maudis pas la vie,
Il peut venir des temps meilleurs ;
Quelque peu de philosophie
M’en fait supporter les rigueurs.
Tendre amitié, qui me console,
Ne viens-tu pas me visiter ?
Ah ! combien j’aime ta parole,
Et qu’il m’est doux de l’écouter !
Je me soumets à mon étoile ;
Après l’orage, le beau temps...
Ces vers, que j’écris sur ma toile
M’ont délassé quelques instants.
Mais vite reprenons l’ouvrage,
L’heure s’enfuit d’un vol léger ;
Allons, j’ai promis d’être sage,
Aux vers il ne faut plus songer.
Cours devant moi, ma petite navette,
Passe, passe rapidement !
C’est toi qui nourris le poète,
Aussi t’aime-t-il tendrement.
MAGU, Poésies de Magu, tisserand, 1846.