Chanson

 

 

J’ai lu que Dieu créa la terre

Pour les hommes qu’il fit égaux,

C’était bien agir en bon père

Si pour tous il eût fait des lots.

J’arrive ; mais on me repousse

Ma part est prise, enfin je vois

Que je n’en aurai pas un pouce,

Le bon Dieu s’est moqué de moi.

 

Quand les beaux-arts et l’industrie

Semblent prendre un nouvel essor,

Tout concourt à rendre la vie

Plus douce, mais il faut de l’or ;

Pour moi qui n’ai que ma navette,

Je n’en touche du bout du doigt.

Je m’en passe, mais je répète :

Le bon Dieu s’est moqué de moi.

 

Sans ambition, sans envie,

Pauvre, je me trouvais heureux,

Mais Dieu m’envoie une ophtalmie

Qui m’a presque détruit les yeux ;

À sa suite, dame Misère

Entre chez nous, quel désarroi !...

C’en est trop, je ne puis me taire,

Le bon Dieu s’est moqué de moi.

 

Seigneur, quel caprice est le vôtre ?

Deviez-vous me traiter si mal ?

Quoi ! tout d’un côté, rien de l’autre

Le partage est trop inégal.

À moi le travail et la peine,

À mon voisin un riche emploi ;

Je m’épuise, lui se promène,

Le bon Dieu s’est moqué de moi.

 

Un peu forte est la pénitence,

Et trop longue au moins de moitié ;

Une voix me dit : « Patience. »

C’était celle de l’amitié.

Fille du ciel, par toi j’éprouve

Qu’à grand tort je manquais de foi,

Mon petit lot, je le retrouve,

Dieu ne s’est pas moqué de moi.

 

 

 

Septembre 1838.

 

MAGU, Poésies de Magu, tisserand, 1846.

 

 

 

 

 

 

 

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