Estat de transformation
Dans une ame sur ces paroles de l’apostre :
Je vis, non ce n’est pas moy, c’est Jésus-Christ
qui vit en moy.
Heureuse perte en Dieu ! la nature et la grace
M’ont osté tout appuy ;
Je ne sens rien en moy de tout ce qui s’y passe,
Le repos ny l’ennuy.
J’agis, et n’agis pas ; mais d’un attrait ravie,
J’obeis doucement ;
Je ne connois pas bien d’où procede ma vie,
Mon cœur n’est qu’instrument.
Je souffre tous les jours sans plaisir et sans peine
Par un pur abandon ;
Mon abandon se fait d’une atteinte soudaine ;
Et ma perte est un don.
Si vous me demandez l’objet de ma pensée,
C’est l’unique Seigneur ;
Mes sens luy sont soûmis, mon ame en est blessée,
Il fait tout mon bon-heur.
J’ay mes biens oubliez, et tous mes maux encore,
Je ne sçay rien de moy,
Par quel attrait je sers, où je prie, où j’adore,
Je réponds de ma foy,
La foy qui me soustient n’est ombre ny lumiere,
Car je crois, et je vois ;
Un rayon sombre et clair de la beauté première
M’abisme mille fois.
J’ayme mieux mon neant que l’empire du monde ;
Mais non, j’ay mal parlé,
Mon neant s’est perdu dans une paix profonde,
L’amour a tout meslé...
François MALAVAL.
Recueilli dans La poésie mystique,
Jean Mambrino, Seghers, 1973.