Prière du philosophe
Ô mon Jésus ! ne m’abandonnez jamais ; que votre lumière conduise tous mes pas et règle toutes mes réflexions. Laissez-moi plutôt dans la simplicité de mon ignorance, soumis à l’autorité de votre parole et sous la conduite de ma mère, votre chère épouse, que de me faire part de cette lumière qui éblouit et qui enfle les esprits lorsqu’ils manquent de charité et d’humilité. Les vérités métaphysiques sont sublimes et délicates, et il est difficile à des hommes pétris de chair et de sang de s’arrêter ferme à la contemplation de ces vérités : leur imagination les séduit, et, prenant pour des principes incontestables des sentiments qui flattent quelqu’une de leurs passions, imprudents, téméraires, impies, ils se font des systèmes qui renversent les fondements de la foi. Ô mon Sauveur ! faites-moi toujours bien distinguer le vrai du vraisemblable, et fortifiez mon attention afin que je ne consente jamais à rien avant que j’y sois forcé par l’évidence de votre lumière ou par l’autorité de votre parole ! Mon corps appesantit mon esprit lorsqu’il s’élève aux vérités abstraites ; il ne trouve point de prise dans des pensées qui n’ont rien de sensible, et, fatigué par ses efforts, il se repose et tâche de se consoler par une possession imaginaire de la vérité. Soutenez-moi dans mes recherches ; formez en moi des désirs assez grands pour mériter d’être exaucés, ou du moins si mon amour pour la vérité n’est ni assez ardent, ni assez pur pour la mériter, ne souffrez pas que, séduit par l’erreur, je vive content et sans inquiétude.
MALEBRANCHE, Méditations chrétiennes,
IXe méditation.
Recueilli dans Devant Dieu,
anthologie de la prière chrétienne,
par Pierre Richard et Bernard Giraud,
Éditions Xavier Mappus, 1948.