La louange des Saints Innocents (1)

 

 

« Que je porte d’envie à la troupe innocente

De ceux qui, massacrés d’une main violente,

Virent dès le matin leur beau jour accourci !

Le fer qui les tua leur donna cette grâce

Que, si de faire bien, ils n’eurent pas l’espace,

Ils n’eurent pas le temps de faire mal aussi.

 

« De ces jeunes guerriers la flotte vagabonde

Allait courre fortune aux orages du monde,

Et déjà pour voguer abandonnait le bord,

Quand l’aguet d’un pirate arrêta leur voyage ;

Mais leur sort fut si bon que d’un même naufrage

Ils se virent sous l’onde et se virent au port.

 

« Ce furent de beaux lis qui, mieux que la nature,

Mêlant à leur blancheur l’incarnate peinture

Que tira de leur sein le troupeau criminel,

Devant que d’un hiver la tempête et l’orage

À leur teint délicat pussent faire dommage,

S’en allèrent fleurir au printemps éternel.

 

« Ces enfants bienheureux, créatures parfaites,

Sans l’imperfection de leurs bouches muettes,

Ayant Dieu dans leur cœur ne le purent louer ;

Mais leur sang leur en fut un témoin véritable :

Et moi, pouvant parler, j’ai parlé, misérable,

Pour lui faire vergogne et le désavouer !

 

« Le peu qu’ils ont vécu leur fut grand avantage,

Et le trop que je vis ne me fait que dommage,

Cruelle occasion du souci qui me suit !

Quand j’avais de ma foi l’innocence première,

Si la nuit de ma mort m’eût privé de lumière,

Je n’aurais pas la peur d’une éternelle nuit.

 

« Ce fut en ce troupeau que, venant à la guerre

Pour combattre l’enfer et défendre la terre,

Le Sauveur inconnu sa grandeur abaissa ;

Par eux il commença la première mêlée ;

Et furent eux aussi que la rage aveuglée

Du contraire parti les premiers offensa.

 

« Qui voudra se vanter, avec eux se compare,

D’avoir reçu la mort par un glaive barbare,

Et d’être allé soi-même au martyre s’offrir ;

L’honneur leur appartient d’avoir ouvert la porte

À quiconque osera d’une âme belle et forte

Pour vivre dans le ciel en la terre mourir.

 

« Ô désirable fin de leurs peines passées !

Leurs pieds, qui n’ont jamais les ordures pressées,

Un superbe plancher des étoiles se font ;

Leur salaire payé les services précède ;

Premier que d’avoir mal ils trouvent le remède

Et devant le combat ont les palmes au front.

 

« Que d’applaudissements, de rumeur et de presse,

Que de feux, que de jeux, que de traits de caresse

Quand là-haut en ce point on les vit arriver !

Et quel plaisir encore à leur courage tendre,

Voyant Dieu devant eux en ses bras les attendre,

Et pour leur faire honneur les anges se lever ! »

 

 

 

François de MALHERBE.

 

Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,

poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,

Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.

 

 

 

 

1. C’est saint Pierre qui parle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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