Le lever du soleil au Righi

 

 

       Au vallon la nuit règne encore,

Je marche en traversant les brouillards du matin ;

Mais un beau jour m’attend sur ce mont que l’aurore

Commence à revêtir d’un éclat incertain.

 

       Durant ce périlleux voyage,

L’abîme, à tout instant, s’entr’ouvre sous mes pas ;

Mais un puissant espoir exalte mon courage,

Et le danger lui-même a pour moi des appas.

 

       Ma course enfin est terminée,

J’arrive, je gravis ce sommet escarpé,

Et sous moi se découvre à ma vue étonnée

Un monde dans la nuit encore enveloppé.

 

       Si l’horizon déjà moins sombre

Lance aux voûtes des cieux un feu toujours croissant,

Tous ces pics argentés que j’entrevois dans l’ombre

À peine sont rougis de son pourpre naissant.

 

       Parais dans ta magnificence,

Astre brillant du jour ! viens finir mes regrets ;

Rends-moi ces monts, ces lacs, ces vallons que l’absence

N’a pu bannir d’un cœur trop plein de leurs attraits.

 

       L’orient soudain étincelle :

Cet éclair qui jaillit remplit l’immensité ;

Entre ces rocs, parés de leur neige éternelle,

Le soleil fait rouler des torrents de clarté.

 

       Le ciel, l’onde même s’embrase ;

Le haut glacier rayonne au milieu des hivers ;

Dans les lacs éclatants, les monts, comme en extase,

Contemplent leur front chauve et leurs flancs toujours verts.

 

       Jetés au bord des rocs sauvages,

Sur la rive des eaux confusément épars,

Les temples, les cités, les hameaux ceints d’ombrages,

À mes yeux attentifs s’offrent de toutes parts.

 

       Je vois ces défilés antiques,

Je vois ces champs couverts d’un renom immortel,

Où la terre est féconde en palmes héroïques,

Où la liberté sainte eut son premier autel.

 

       Ô belle et vaillante patrie !

Ô ma mère ! en ton sein je reviens triomphant ;

Dans un moment si doux à mon âme attendrie,

Reçois les pleurs d’amour versés par ton enfant.

 

       Que de fois dans ces tristes plaines

Qui m’ont fait trop longtemps regretter tes climats,

J’ai cherché sur les bois, sur les vapeurs lointaines,

Tes monts couronnés d’ombre ou chargés de frimas !

 

       Privé d’une si belle vue,

Que de fois j’ai vanté ces prés chers aux troupeaux,

Et ces rocs où l’autour fait son nid dans la nue,

Et ces vallons tremblant au vaste bruit des eaux !

 

       Le ciel t’a rendue à mes larmes ;

Son amour éternel se dévoile à mes yeux :

Comme pour augmenter mon bonheur et tes charmes,

Un jour tranquille et pur a lui sur tes hauts lieux.

 

       Ce jour qui flatte ma paupière,

Cet air qui vivifie et réjouit mes sens,

Cet éclat répandu sur la nature entière,

Tout ranime, en ton sein, mes esprits languissants.

 

       L’aigle qui plane sur tes cimes,

Où mon œil étonné le suit avec effroi,

Dans son aire, bâtie au milieu des abîmes,

Est moins content, moins fier, moins glorieux que moi.

 

       Comme lui, fils de ces montagnes,

Arrêté, comme lui, sur leurs brillants sommets,

À l’heure où le matin vient sourire aux campagnes,

De mon pays natal je m’empare à jamais.

 

       Et Toi, dont la majesté sainte

Au front de ces glaciers éclate incessamment,

Toi que le pâtre, ému de respect et de crainte,

Sur la croupe des monts adore en ce moment,

 

       Grand Dieu, protège ces rivages ;

Dans son séjour chéri maintiens la liberté ;

Bannis de nos vallons le trouble et les orages,

Fais-y des temps anciens revivre la beauté !

 

       À nos mœurs constamment fidèles,

Ennemis des tyrans, mais esclaves des lois,

Nous saurons être heureux à l’ombre de tes ailes,

Et commander l’amour des peuples et des rois.

 

 

 

Louis MANUEL.

 

Recueilli dans Les poètes vaudois

contemporains, par A. Vulliet, 1870.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net