Le vingt et un janvier
ÉLÉGIE NATIONALE
Immeritus lues.
DEPUIS un siècle entier, sur le velours des trônes
Les grands ne voyaient plus le bois nu de la croix ;
Et comme des bandeaux s’abaissaient les couronnes
Sur les yeux obscurcis des rois.
Le sceptre, impur jouet d’avides courtisanes,
Abandonnait le peuple à ses mauvais penchants ;
Les vases de l’autel, en des festins profanes,
Versaient l’athéisme aux méchants.
De l’esprit révolté contre un joug salutaire,
Tous les pouvoirs suivaient l’entraînement fatal :
Tandis que les palais se disputaient Voltaire,
Gilbert mourait à l’hôpital.
Insensés grands seigneurs de cet âge sans âme !
Dans la boue ils creusaient l’abîme sans le voir,
Préludant par l’orgie au suicide infâme
De leur imprévoyant pouvoir !
L’autel était souillé, le sanctuaire vide,
La fortune sans cœur, la misère sans foi ;
Et la Philosophie, en sa fureur avide,
Fermait le ciel, brisait la loi.
Le Roi n’était-il pas la nation faite homme,
Le résumé vivant des droits et des devoirs,
Le peuple couronné, le père du royaume,
La permanence du pouvoir ?
Or, tout pouvoir rival importunait Voltaire ;
Tout devoir enchaînait son essor vers le mal ;
Il détestait le peuple, et voulait, sur la terre,
Régner seul, génie infernal.
Et les grands l’adoraient, car il laissait à l’aise
Leur cynisme opulent se railler de la foi :
Le vice détrônait la vertu. – Louis seize
Fut donc martyr dès qu’il fut roi.
Roi-martyr, il le fut, car il fallait au monde
D’un juste couronné le sang expiateur,
Une ruine immense à ce vieux siècle immonde
Qui se prétendait créateur.
Le mal était tombé des hauteurs sociales,
La réparation dut rayonner d’en haut :
Le vieux siècle avait eu ses débauches royales,
Il eut son royal échafaud.
Aussi le Roi-martyr concentra dans son âme
Assez d’ardente foi, de dévouement, d’amour,
Pour laver de son sang, pour brûler de sa flamme
Les crimes d’un siècle en un jour.
Il eut, comme le Christ, des Judas, des Pilates ;
Des partis acharnés sa tête fut l’enjeu ;
La pourpre était pour lui le manteau d’écarlate
Qui jadis couvrit l’Homme-Dieu.
Comme le Christ, du haut de son royal Calvaire
Sur son peuple il laissa, dans son morne abandon,
Dernier vœu d’un martyr, dernier adieu d’un père,
Tomber, en mourant, son pardon.
Pardon à ses bourreaux, dont l’horrible démence
Crut pouvoir étouffer le remords éternel,
De canons, de tambours, d’un appareil immense
Entourant le royal appel.
Non, rien n’étouffera l’appel expiatoire,
L’écho de l’avenir toujours retentissant,
La protestation de l’inflexible histoire,
La voix des larmes et du sang !
Non, rien n’étouffera cet appel de l’abîme
Depuis un demi-siècle entrouvert devant nous,
Et le gémissement universel, intime,
De l’ordre social dissous !
Non, rien n’étouffera le fracas des ruines,
Le cri de désespoir de la société,
Et le grondement sourd des vengeances divines
Qui plane sur l’humanité !
Du droit lorsque la force usurpe le domaine,
On peut faire tomber une tête de roi ;
Mais on n’abolit point la conscience humaine,
L’éternelle et divine loi.
Du passé, du présent et de l’avenir vides
Écoutez tous ces cris comme un remords sortir :
« Les bourreaux de janvier furent des parricides ;
« Pleurons tous sur le Roi-martyr !
« Si depuis soixante ans, en proie à la tempête,
« Le peuple se débat sous l’expiation,
« C’est qu’ils ont, en tranchant cette royale tête,
« Décapité la nation. »
Nation qui se meurt dans le fond d’un abîme,
Que lui faut-il pour vivre et pour se relever ?
Accepter ton pardon, ô royale victime !
Ce pardon seul peut nous sauver.
Hippolyte MAQUAN.
Paru dans le Recueil de l’Académie
des jeux floraux en 1852.