Un nid
Entre ma persienne et la vitre claire,
Deux petits moineaux ont bâti leur nid.
C’est un peu gênant, mais je laisse faire :
un amour d’oiseaux si vite finit !
Je les y trouvai, lorsque d’un voyage,
Je revins pensif et seul l’autre Jour ;
Installé déjà, le jeune ménage
Pour me saluer guettait mon retour ;
Car dès que mon pas de la chambre vide
Réveilla l’écho, le couple amoureux
M’ayant aperçu par le verre humide
Envoya dans l’air mille cris joyeux.
Par un tel accueil ils voulaient peut-être
Me faire oublier leur empiètement ;
De fait, ils avaient muré ma fenêtre,
Et, je dois le dire, au premier moment
Je maudis bien fort leur naïve audace ;
Et puis, je songeai que pour faire un nid,
On choisit toujours la meilleure place,
Et je respectai ce que Dieu bénit.
Comme j’approchais pour leur faire grâce
Et les voir de près, ils eurent grand’peur,
Car tous deux soudain, sautant dans l’espace,
S’enfuirent, poussant des cris de terreur.
Avec moi pourtant, ils s’apprivoisèrent,
Et deux jours après, nous étions amis.
Depuis, jamais plus ne me refusèrent
Un petit plaisir que me suis permis :
C’est quand, chaque nuit, va finir ma veille
Et que tout se tait sous le grand ciel noir,
De voir un instant le nid qui sommeille
Et tout doucement lui dire bonsoir.
Mes hôtes charmants dans leur frêle couche,
Entendent toujours mes pas assourdis,
Et, si de ma lampe un rayon les touche,
Ouvrent un moment leurs yeux alourdis.
Un doux bruit de voix à peine éveillées
Me dit chaque fois qu’on m’a reconnu :
Bribes de chansons tout bas gazouillées,
Où, moi, je comprends : « Sois le bienvenu. »
Ils sont là, tout près, tout près l’un de l’autre,
Chaudement tapis dans le duvet blanc,
Où leur corps débile et frileux se vautre
Défiant le froid, la pluie et le vent.
Le regard jeté dans ce nid paisible
Me met pour la nuit le repos au cœur :
Et ni cauchemar ni rêve terrible
N’étendent sur moi leur vol plein d’horreur.
Lorsque, le matin, sitôt que l’aurore
Teint de ses lueurs le pâle horizon,
La voix des petits, légère et sonore,
Lance jusqu’à moi sa vive chanson,
Mon front reposé n’a plus cette fièvre
Qui le consumait ; à ces chants joyeux
Un hymne d’amour arrive à ma lèvre
De mon cœur serein pour monter aux cieux.
Vous qui m’égayez dans ma solitude,
Que ferai-je donc quand serez partis ?
J’ai pris de vous voir la douce habitude,
Aimez-vous longtemps, ô mes chers petits !
Longtemps sur mon toit par votre innocence
Attirez du ciel la paix, le bonheur.
Et quand, après longue et cruelle absence
Comme après l’hiver le printemps en fleur,
Elle reviendra, – (qu’il vous en souvienne,
Je ne viendrai pas vous en avertir) –
Dès qu’il vous plaira, sans qu’on vous retienne,
Moineaux, mes amis, vous pourrez partir.
Ottawa, août 1884.
Ernest MARCEAU.
Paru dans les Nouvelles Soirées canadiennes en février 1885.