Prière d’abandon
Si Dieu m’a pour chef Christ donné,
Faut-il que je suive autre maître ?
S’il m’a le pain vif ordonné,
Faut-il du pain de mort repaître ?
S’il me veut sauver par sa dextre,
Faut-il en mon bras me fier ?
S’il est mon salut et mon être,
Point n’en faut d’autre édifier.
S’il est mon sûr et seul espoir,
Faut-il avoir autre espérance ?
S’il est ma force et mon pouvoir,
Faut-il prendre ailleurs assurance ?
Et s’il est ma persévérance,
Faut-il louer ma fermeté
Et pour une belle apparence,
Faut-il laisser la sûreté ?
Si ma vie est en Jésus-Christ,
Le faut-il croire en cette cendre ?
S’il m’a donné son saint écrit,
Faut-il d’autre doctrine prendre ?
Si tel maître me daigne apprendre,
Faut-il à autre école aller ?
S’il me fait son vouloir entendre,
Faut-il par crainte le celer ?
Si Dieu me nomme son enfant,
Faut-il craindre à l’appeler Père ?
Si le monde me le défend,
Faut-il qu’à son mal je tempère ?
Si son esprit en moi opère,
Faut-il son ouvrage estimer ?
Non, mais Dieu, qui partout impère,
Faut en tout voir, craindre et aimer.
MARGUERITE DE NAVARRE,
Les Marguerites de la Marguerite des Princesses,
Lyon, 1547.
Recueilli dans Cinq mille ans de prière,
textes choisis et présentés par Dom Pierre Miquel,
Desclée De Brouwer, 1989.