Chanson spirituelle
Pensées de la reine de Navarre,
étant dans sa litière,
durant la maladie du roi (1547).
Ô Dieu, qui les vôtres aimez,
J’adresse à vous seul ma complainte ;
Vous, qui les amis estimez,
Voyez l’amour que j’ai sans feinte,
Où par votre loi suis contrainte,
Et par nature, et par raison :
J’appelle chaque Saint et Sainte
Pour se joindre à mon oraison.
Las ! celui que vous aimez tant
Est détenu par maladie,
Qui rend son peuple malcontent,
Et moi envers vous si hardie
Que j’obtiendrai, quoi que l’on die,
Pour lui, très parfaite santé :
De vous seul ce bien je mendie,
Pour rendre chacun contenté.
Le désir du bien que j’attends
Me donne de travail matière ;
Une heure me dure cent ans,
Il me semble que ma litière
Ne bouge, ou retourne en arrière :
Tant j’ai de m’avancer désir !
Ô ! qu’elle est longue la carrière
Où à la fin gît mon plaisir !
Je regarde de tous cotés
Pour voir s’il n’arrive personne,
Priant sans cesse, n’en doutez,
Dieu, que santé à mon Roi donne ;
Quand nul ne voî, l’œil j’abandonne
À pleurer, puis sur le papier
Un peu de ma douleur j’ordonne.
Voilà mon douloureux métier.
Ô ! qu’il sera le bienvenu,
Celui qui, frappant à ma porte,
Dira : « Le Roi est revenu
En sa santé très bonne et forte ! »
Alors sa sœur, plus mal que morte,
Courra baiser le messager
Qui telles nouvelles apporte
Que son frère est hors de danger.
MARGUERITE DE NAVARRE.