De Profundis
Dieu mon Dieu la distance entre nous n’est pas tolérable
Montrez-moi le chemin droit et nu et totalement véritable
Le chemin de mon âme à votre esprit sans aucun intermédiaire
De ce que les hommes ont construit entre le ciel et la terre
Je suis pauvre et dépouillée et tout me blesse
Tout est trop dur de ce qui se dit et trop humain pour ma détresse
La douleur m’a ravi mon enfance
Je ne suis plus qu’une âme en deuil de sa joie
Dans la terrible et stricte voie
Où vit à peine l’espérance
Tout juste de quoi lever les yeux vers vous et ma solitude est totale
Et ces ténèbres sont sur moi comme une pierre sacrificielle et tombale
Comment avoir accès auprès de vous par delà les symboles
Et connaître sans nulle erreur la vérité de votre Parole
Tout ce qui se dit de vous est sacrilège
Et ce que vous-même avez prononcé par nos mots un mystère infini le protège
Et pendant que vous vous enveloppez de toutes ces ombres
Le monde que vous avez fait resplendit de ses étoiles sans nombre
Et le vertige de l’abîme saisit mon âme
Et je crie vers vous mon Dieu
Du fond de l’abîme.
Raïssa MARITAIN, La Vie donnée.
Paru dans La Relève en 1940.