Une larme sur un rêve
Vingt ans, m’étais-je dit en rêve,
C’est le bonheur pour un cœur pur,
C’est une étoile qui se lève
Sur un bel horizon d’azur.
Vingt ans, c’est l’âge de l’ivresse,
C’est l’amour qui s’érige en loi....
J’ai vingt ans.... pourquoi la jeunesse
Est-elle si sombre pour moi ?....
Je vois mes compagnons d’enfance,
Amis favorisés du sort,
Dans un rang que le monde encense
Plier chacun leur gerbe d’or.
Et moi, demeuré solitaire
Au chemin qu’ils ont achevé,
Je me demande si la terre
Possède ce que j’ai rêvé.
Je sais qu’il est des vierges pures,
Dont je voudrais l’une pour sœur,
Qui laissent de chastes murmures
Sortir doucement de leur cœur.
Mais nulle d’elles sur ma voie,
Comme un rayon venu des cieux,
Ne fait luire une douce joie,
Ne dit un mot mystérieux.
Et pourtant j’adore la femme
Comme un esprit sorti de Dieu
Pour elle j’élève en mon âme
Un autel au céleste feu.
C’est elle qui fait ma chimère,
Qui me pousse à vivre demain,
Qui rend plus triste ou moins amère
La pensée éclose en mon sein.
Oh ! de ces voluptés sans nombre
Qu’elle répand autour de soi,
Pourquoi, pour éclairer mon ombre,
N’en est-il pas une pour moi ?
Pourquoi sont-elles le partage
Des hommes au cœur dépravé
Qui souillent cette pure image
Où Dieu lui-même s’est gravé ?
Profanateurs des sanctuaires
Les plus saints qui soient sous le ciel,
Laissez-nous dire les prières
Que veut la femme à son autel ;
Nous seuls avons compris son âme
Et deviné son grand tourment,
Nous seuls savons l’épithalame
Que doit lui dire un chaste amant.
Cette vierge, ange qui soupire,
Qui sent au souffle des seize ans
Des pleurs mêlés à son sourire
Des notes tristes à ses chants,
C’est pour vous un objet profane,
Vous oseriez, sombres vautours,
En faire votre courtisane
Pour de sacrilèges amours !
Que jamais à votre repaire,
Fatal écueil de la vertu,
Elle ne fasse d’un vieux père
Rougir le visage abattu.
Car c’est vous, grands fauteurs du crime,
Ravisseurs qui rôdez le soir,
C’est vous qui dans son noir abîme
Poussez l’enfant du désespoir !.....
Et c’est en voyant dans la vie
Naître de là tant de douleurs
Que pour l’innocence ravie
J’eus toujours mes plus tristes pleurs.
C’est pour cela que sur la terre
Deux serments ne m’ont pas lié,
Que las de sonder le mystère
En moi je me suis replié.
Oh ! si l’on savait quelle ivresse
Une femme porte en son cœur,
De quelle force est sa faiblesse
Même sous les yeux d’un vainqueur ;
Si l’on savait combien elle aime,
Combien sans les hommes jaloux
Elle serait pure elle-même
Et sans tache au bras d’un époux !
Si du culte dont elle est digne
L’homme lui payait le tribut,
S’il lui donnait l’amour pour signe,
Et la pudeur pour attribut ;
Alors quelle auréole pure
Ceindrait au front l’humanité
Quel pas glorieux la nature
Ferait vers la divinité !
Ô Dieu, si ta main que j’adore
Ôte ce prix à nos forfaits,
Si l’homme doit longtemps encore
Tirer abus de tes bienfaits ;
Oh ! que du moins les belles âmes
Puissent s’offrir leurs chastes vœux !
Qu’il naisse de leurs nobles flammes
Un amour comme tu le veux !
Que la femme, esprit de mystère,
Ne se révèle qu’aux grands cœurs ;
Qu’elle sourie au solitaire,
Au poète, enfant de douleurs !
Qu’à sa noblesse d’origine
Parmi nous revenue enfin
Elle soit l’étoile divine
Qui guide l’homme vers sa fin !
CH. MARILLIER.
Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1861.