Souvenir et aspiration
DÉDIÉE À M. DE LAMARTINE.
Amis, j’ai vu le jour au milieu des montagnes
Devant la lente d’un berger ;
Dans les sombres forêts mes première compagnes
Je fus un hôte passager.
Sur ces sommets lointains où Dieu place son trône
Un air pur gonfla mes poumons,
Et je bénis ce Dieu, parmi les biens qu’il donne,
De m’avoir fait enfant des monts !
Là, tout près du grand ciel, la superbe nature
Me berça dans ses bras mouvants ;
Et ma voix se nota sur son vaste murmure,
Mon cœur sur le bruit des grands vents.
Encore tout enfant, je courais sur les cimes
M’enivrant des parfums du ciel,
Et mon cœur aspirait vers les sphères sublimes
Ayant la terre pour autel.
Oh ! splendeurs d’un pays où tout chante et palpite,
Où l’Éternel se montre à nous ;
Grands monts, qui vous penchez dans l’azur sans limite,
Forêts où l’on prie à genoux !
Vous avez dans mon âme imprimé vos murmures,
Je suis un écho de vos voix ;
C’est dans vos vastes bras que de visions pures
Je rêvai la première fois.
En entrant dans un monde où règne l’égoïsme,
Oh ! que je me trouve à l’écart !
Où je plaçais le beau, j’aperçois le cynisme,
La vertu, l’honneur sont à part !
Reviens, rêve d’enfance, animer ma jeunesse
Qui semble gémir sous des fers ;
Car aujourd’hui, je veux, rappelant mon ivresse,
M’élever contre les pervers !
Je veux défendre l’art et les saintes doctrines
De toute prostitution ;
Les sauver, ou mourir, sous leurs vastes ruines,
Victime de ma mission !
Ch. MARILLIER.
Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1861.
Voici la réponse de M. de Lamartine à cette pièce : « Je vous envoie tous mes vœux ; ils vous porteront bonheur au début de votre carrière. Vos vers de montagnes sont admirables. Je souligne le mot pour vous dire mon impression. « Et in arcadià ego ! » Mais si je sentais de même, je ne murmurais pas mieux. » LAMARTINE.