Douceur du monde
Douceur du monde ! Jusqu’où monte et descend en mon cœur ta musique ! Ta magie se donne pour l’Éternité, tu me séduis.
Une heure au cœur de ta beauté, une heure terrestre et réelle, – béatitude sans souvenir, présent sans avenir, dans ton amour impersonnel.
Prestiges du printemps, jardin persistant des délices, – le ciel est limpide et lavé, une lumière tendre paraît descendre du Paradis.
Branches fleuries des acacias, des orangers, des rosiers, des lilas, – générosité végétale, fécondité miraculeuse du bois.
– Contemple le Bois de l’Arbre de la Croix portant sa Fleur et son Fruit éternel !
Plus que l’arbre le cœur est fécond, il mûrit son fruit dans le silence ; grappe sanglante promise au pressoir.
Vaisseau fragile et charnel, univers secret et ouvert, sur lui déferle la douceur du monde.
Ô suavité, plénitude, joie ! Quels mots, quels cris sauraient vous dire ?
Vous ne parlez que par les secrets battements de ce cœur que les anges de la musique peuvent seuls déchiffrer et redire.
Mon zèle a parcouru la terre et le ciel, j’ai cru tout posséder en ces instants éternels.
Instants bienheureux, heure privilégiée qui a tenu en soi rassemblé tout l’amour épars dans le monde.
Heure trop parfaite dont les dieux sont jaloux. Heure dont Dieu est Peut-être jaloux, et qu’il faut lui rendre en tremblant – tout entière.
– Aujourd’hui si tu entends sa voix n’endurcis pas ton oreille.
Allons, c’est ici le degré de l’épreuve
L’échelle de Jacob s’appuie sur notre cœur
Allons, il faut quitter pour Dieu la beauté même
Il contient dans sa main l’univers étoilé
Allons. Rassemblons notre cœur oublieux qui a voulu quitter le souvenir de Dieu et vivre une heure seul parmi les créatures.
Allons pleurer devant Celui qui nous a faits, de qui descend tout don parfait, – l’humilité et la douceur, les larmes pures.
Allons comme un troupeau rassembler nos délices sur le chemin sanglant où il porte la Croix
Où il s’est engagé le premier, humble Isaac, chargé du bois du sacrifice.
Jésus veut notre mort pour nous donner la vie, acceptons de trembler au jardin des Olives.
Il nous fera goûter la joie aux sources vives. Allons et mourons avec lui.
Raïssa MARITAIN, La Vie donnée, Labergerie.