Quare tristis es
L’ESPRIT.
Pourquoi es-tu triste mon âme
Et pourquoi me troubles-tu
L’ÂME.
Tu entends ma plainte secrète
Je voudrais qu’on m’ait laissée
Au néant dont j’ai été faite
L’ESPRIT.
Ta tristesse est sans mesure
Ta parole est sans raison
L’ÂME.
Ma douleur est sans fond
L’ESPRIT.
Tu souffres de tes limites
Et de la peine de toute chair
L’ÂME.
Je respire l’angoisse –
Et la douceur du monde
M’attire et m’épouvante
L’ESPRIT.
Tu m’aveugles et tu m’accables
Par tes secrets et tes violences
Mais je suis fait pour les hauteurs de la lumière
Et ma force est l’espérance
L’ÂME.
Et ma force est l’amour
Ma lumière est d’aimer
Et ma peine est d’aimer
Ma plénitude dépend d’un autre
L’ESPRIT.
Son heureuse paix nous attend
L’ÂME.
Mais il n’est pas pour nous de bonheur pacifique
Et l’ombre légère de la joie
L’ennui bientôt lui succède
La tristesse couronne l’ennui
Le vide accomplit l’illusion
L’ESPRIT.
Sans remède serait ta douleur
Si tu ne m’étais jointe en la même étincelle
Je t’entraîne à travers l’expérience des jours
Vers l’humble connaissance du plus haut amour
L’ÂME.
Lorsque tu me touches et m’inclines à toi
Esprit mien je me souviens de la Foi
Et de celui qui est Vérité Voie et Vie
L'ESPRIT.
Qui est lumière et joie sans fin
Sans déception et sans déclin
L’ÂME.
Oui je le connais ce Dieu qui meurt pour moi
Il me lie à toi esprit mien
Et nous attire à Lui ensemble
Et je sais lorsqu’Il tourne vers moi Son Visage
Un autre amour une autre peine une autre extase
Où nous sommes deux – nous et Lui –
Dans le désir de l’union qui nous déifie
Et le comble
L’ESPRIT.
Espère donc en Lui ô mon âme
Nous monterons à l’autel du Seigneur
Du Dieu qui renouvelle les cœurs
Dont il purifie la tristesse
Dont il sanctifie la faiblesse
L’ÂME.
Ô Dieu que je Vous loue encore par des chants
Dans mes pleurs
Vous qui nous sauvez par le Sang
Et l’Amour
Raïssa MARITAIN, Au creux du rocher,
Alsatia, 1954.