Les berceaux
par
MARJOLAINE
Sous le soleil qui rit ou la rafale qui pleure, sous le ciel sans ombre ou l’azur voilé, dans la riche demeure ou dans l’humble maisonnette, dans tous les foyers, ils chantent les petits berceaux, et leur mystérieux murmure est la joie profonde des mères, le bonheur des familles, l’espoir touchant de l’avenir.
Ils chantent tout le long du jour. Ils attachent leur charme caressant au cœur du père et de la mère, au travail quotidien, aux peines et aux fatigues, aux rêves et aux prières.
Ils chantent encore le soir pour bercer le recueillement et les souvenirs du vieux grand’père et de la vieille grand’mère, pour ajouter, aux clartés de leurs visions d’autrefois, la douceur de leur harmonie.
Ils chantent même la nuit, dans leur innocence, insouciante, avides des rayons qui étoilent l’obscurité.
C’est au rythme berceur de ces chansons d’amour et de bonheur, que s’éveillent, se développent et grandissent les petites vies que Dieu crée, fleurs gracieuses qui nous apportent les parfums du paradis. Tout autour de lui, l’enfant sème la grâce, la beauté, la douceur ; il console, il apaise, il ensoleille.
Il a à peine touché son berceau que, déjà, l’avenir dessine sa trame légère sur cette aube nouvelle.
Le soleil monte à l’horizon clair, la source limpide accourt pour répandre sa fraîcheur dans ce jeune cœur, l’enchantement s’agite pour bercer cette vie nouvelle, et le ciel s’entr’ouvre pour sourire à cette petite âme neuve.
Dans cette blancheur de printemps, il flotte des vapeurs roses, il monte des bruits de chansons, et s’exhale des parfums de fleurs. L’enfant, qui possède la science innée de s’adapter à toutes les circonstances et d’en saisir aussitôt le meilleur côté, l’enfant vit de ces beautés et n’en voit que les merveilles. Sans s’en douter, il commence à cultiver la grande voix du Souvenir, celle qui accompagnera, plus tard, les rêveries, les mélodies ou les méditations qui chanteront ou pleureront tour à tour dans son cœur. Car, si « les sentiments et les mots eux-mêmes se modifient suivant les époques », ce don merveilleux conserve toujours son privilège de stabilité que le temps fortifie et qu’il ne peut plus effacer.
L’esprit de l’enfant recueille instinctivement toutes les paroles qui se posent en énigmes à son ignorance ; il les saisit au passage, et, sans se décourager, il lutte contre leur obscurité. Ce besoin de clarté, de vive lumière, c’est la voix du devoir qui lui épelle déjà le grand mot de la vie : le Travail !
Pendant que la maman écoute encore l’écho de la chanson du berceau, l’enfant chante déjà celle de l’avenir ! L’heure de la responsabilité devient plus grave et elle exige une tendre force. C’est quand l’enfant se grise de roses, d’étoiles et d’espoir, que commence pour la mère la mission sublime d’orienter la boussole précieuse vers le Bien et le Beau. Elle n’est plus seulement la gardienne du foyer, elle est surtout l’éducatrice du cœur et de l’âme de son enfant. Elle doit, entre mille dangers, entre mille embûches, le garder fort, noble, courageux, loyal ; lui enseigner que le bonheur, si capricieux, ne sourit qu’à celui qui se tient tenace au poste, et que si le soleil se cache, il ne doit pas abandonner sa tâche, mais la poursuivre quand même avec confiance. C’est à la mère de graver dans son cœur les trois amours qui deviendront son trésor : Dieu – la Famille – la Patrie – et le miracle du succès, c’est la tendresse maternelle qui l’assure.
Que la mère se consacre à cette éducation morale, et l’enfant possédera alors pour toujours le secret du bonheur. Il le portera en lui comme un bouclier invincible ; il y songera en étouffant un sanglot ou en savourant une joie, il embellira le chemin le plus aride. Dès lors, il aimera le travail, il en comprendra la nécessité et la douceur ; il y consacrera toutes les forces, son énergie, son activité, parce qu’il recueillera l’abondante moisson qu’aura préparée le pur amour maternel.
Oh ! l’âme canadienne vivra magnifique et puissante, tant que les mères en assureront la sécurité au foyer. L’enfant apprendra toujours mieux là qu’ailleurs les grands gestes qui font les héros ! Riche de sa foi en l’Idéal, il travaillera ardemment à la maison, au collège, parce qu’il aura le culte du devoir !
Et plus tard, de la joie délicieuse qui montera de sa conscience d’homme heureux et respecté, il en remerciera l’artisan infatigable : sa douce maman. Et notre pays sera grand, parce qu’il sera l’œuvre immortelle des cœurs de Mères.
MARJOLAINE, Gerbes d’automne, 1928.