L’empreinte maternelle
par
MARJOLAINE
Sait-on qu’on attribuait autrefois aux jours de la semaine une influence heureuse ou néfaste non seulement sur les évènements et les entreprises, mais encore sur la vie des mortels ? S’il était possible d’éviter de conclure un marché, de prendre une décision, de fixer un mariage, d’entreprendre un voyage tel ou tel jour, on ne pouvait, paraît-il, échapper au présage du jour de la naissance.
L’enfant né le lundi sera joli, disait-on, et par conséquent, il flattera l’orgueil des parents. Né le mardi, l’enfant sera plein de charme et attirera irrésistiblement l’amour et la gloire. Le mercredi lui apportera la joie et le contentement, la satisfaction paisible d’un sort heureux. En revanche, le jeudi lui imposera des ennuis ; il sera triste et morose, il connaîtra l’amertume des larmes. Moins bourru que son voisin, vendredi le comblera des bontés célestes, et si l’enfant naît un samedi, continuait l’oracle, hélas ! il sera à la peine. Il subira le joug cruel du sort, il devra gagner péniblement sa vie et vivre dans la médiocrité. Entre tous ces dons plus ou moins enviables, dimanche se réservait ceux de la vertu, de la probité, de la gaieté.
Les craintes qu’aurait pu faire naître cette superstition ne se mêlent pas de nos jours aux soucis qui assaillent les parents en face du problème de l’avenir, lorsqu’ils contemplent la petite figure fraîche de Bébé, enfouie dans le moelleux oreiller comme un pétale de rose dans un satin neigeux. Les surprises de la vie peuvent causer des déboires et des ennuis, des faits malheureux peuvent se produire, des circonstances décevantes peuvent faire échouer des projets ou anéantir des espérances, des chocs imprévus peuvent faire crouler des ambitions, on ne s’en prendra plus à la mauvaise fortune du jour qui les fait subir. Cette superstition n’est qu’une légende.
Penchées sur les berceaux, les mères entrevoient des horizons magnifiques pour les petites Vies nouvelles qui leur sont infiniment chères ! Le cœur frémissant de tendresse, elles élaborent les projets les plus ambitieux, résumé de la splendeur de leurs rêves. Du même coup, s’ouvre pour l’âme maternelle l’ère des inquiétudes et des soucis qui se compliquent durant la période de la première éducation, alors que l’enfant bénéficie abondamment de cette formation morale, base de son avenir et de son bonheur. L’influence maternelle est la première et la principale, peut-être la plus puissante influence, à graver des exemples ineffaçables dans ces petits esprits malléables, si dociles à la main éducatrice qui les façonne.
Une vielle coutume hindoue rappelle admirablement ce premier devoir des mères soucieuses d’être une ardente sollicitude, une prudence sage et éclairée et d’atteindre ainsi le but véritable de leur maternité. Dans l’Hindoustan, quand un enfant vient de naître, le prêtre lui adresse l’allocution suivante : « Petit enfant, tu entres dans ce monde en pleurant, lorsqu’on sourit autour de toi. Efforce-toi de manière à pouvoir t’éteindre en souriant pendant qu’autour de toi on pleurera. » Ce travail important demandé à l’enfant dès sa naissance et auquel il devra s’astreindre, c’est à la mère qu’il appartient d’en établir la base par laquelle elle veut assurer la solidité de ce nouvel et fragile édifice moral.
En dévidant l’écheveau des jours, la jeunesse court aux succès, aux joies, aux promesses de la vie. Elle peut parfois s’attacher follement aux vains honneurs, aux vaines ambitions, aux vains plaisirs ; elle peut s’attarder aux travers et aux exagérations qui bouleversent le monde. Si l’éducation est saine et solide, le vieux souhait hindou s’accomplira, car rien jamais ne peut effacer l’empreinte bénie des nobles sentiments gravés par la main maternelle dans le cœur des enfants.
MARJOLAINE, Gerbes d’automne, 1928.