Les idées des petites filles

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

MARJOLAINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les petites filles ont parfois des idées de puérile vanité et d’inconsciente cruauté. Elles ont, tout au fond de leur esprit, une pointe d’orgueil vers laquelle s’orientent leurs actions et se dirigent leurs pensées. Leur jeune imagination ne travaille que sous l’impulsion de ce sentiment qui s’éveille de bonne heure et grandit rapidement.

Obscurci d’abord par un brouillard d’idées confuses qui, peu à peu, se précisent et se développent vigoureuses et profondes, ce sentiment bientôt s’affirme nettement dans ces natures prêtes à recevoir toutes les empreintes. Il jaillit entremêlé d’insouciance enfantine et de merveilleuse gaieté, charmes propres à dissimuler la greffe fatale. Puis, il envahit la petite source limpide, simple et charmante, il en devient le maître, et bientôt son influence la corrompt et la dessèche. L’œuvre mortelle s’accomplit pendant que se fleurissent les jeunes sentiers.

Ce sentiment se fortifie souvent sans rencontrer d’obstacles ; il pousse librement dans un sol riche et neuf dont on semble ignorer la précieuse valeur en s’occupant surtout de choyer les petites filles, de les fêter, sans songer qu’il faut pétrir leur cœur d’une force généreuse, avant de le livrer aux assauts de la vie. On pense à les initier aux fantaisies de la mode avant même de leur avoir enseigné le respect et l’obéissance ; elles connaissent parfaitement les exigences mondaines, mais en revanche, elles ignorent les plus simples devoirs de la Bonté charitable et de l’exquise Délicatesse. Car pendant qu’on s’occupe de leur beauté, de leur grâce et de leur succès, la petite pointe d’orgueil croît toujours. Elle multiplie ses racines, et, un bon jour, levant fièrement la tête, elle apparaît, despote et fantasque, irrémédiablement attachée à leur cœur.

On ne prévoit pas le péril auquel on expose les petites âmes qu’on abandonne aux mystères de la vie avant que la maternelle tendresse en ait battu les sentiers. On ne pense pas à barrer la route de l’abîme à ces petites filles qui s’élancent vers le danger en se parant de fleurs. On ne pense pas à préserver leur cœur des poisons violents qui les grisent. On ne pense pas à arrêter leur course imprudente vers l’impétueux courant qui bouillonne. On ne pense pas ! Non ! L’expérience dort pendant que s’agite l’orgueil insensé de ces enfants qui dédaignent déjà la douceur des joies intimes et délicieuses, et le souffle frémissant de l’Idéal.

Près de l’expérience endormie, le devoir sommeille paisiblement. Le chemin libre, nos petites filles gaspillent leur temps en futilités, elles s’enfoncent dans un snobisme perfide et en recueillent les plus ridicules préjugés. Et parce qu’elles ignorent les exigences du Devoir, ses délicates nuances, qu’elles n’entendent jamais sa voix mystérieuse, elles se moquent des sages réflexions, des sages conseils.

Des bouffées d’orgueil précoce réveillent parfois en sursaut la sollicitude maternelle. Une minute, les mères réalisent qu’elles ont à soutenir la tige flexible des petites plantes, qui lèvent fièrement la tête au soleil brûlant. Elles constatent que la rosée manque aux pauvres fleurs étiolées, mais elles n’ont que le temps d’y penser. Reprises aussitôt par l’agitation des plaisirs, elles oublient l’appel suppliant du Devoir fatigué de leur lourde torpeur. Elles oublient qu’un jour, victorieux, il secouera le joug trop pesant, et que, ce jour-là, il sera un accusateur terrible.

Elles oublient, les pauvres mères, qu’un jour elles pleureront amèrement au reproche muet de ces âmes négligées !

 

 

MARJOLAINE, Gerbes d’automne, 1928.

 

 

 

 

 

 

 

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