Silence

 

 

Silence aux yeux d’enfant, silence du poète,

Pareil au lac où dort le sommet le plus pur

Et dont le vierge flot ne se trouble en tempête

Que si Dieu, de sa foudre, épouvante l’azur.

 

Minutes où la mer de silence s’irise

Des feux de diamant du poème intérieur.

Lourde de son mystère, une vague se brise,

Et, de l’onde, jaillit l’énigmatique fleur.

 

Un poème a glissé dans l’air comme une feuille

Sans émouvoir l’espace et sans rider le jour.

Nul ne sait qu’en son rythme une angoisse s’effeuille,

Nul ne croit qu’en son souffle agonise un amour.

 

Plaisir, fièvre, langueur conspirent pour sa chute.

Du vent dans le sapin il a l’auguste ampleur.

Le silence a tremblé. D’où vient que la minute

A le rayonnement pathétique d’un pleur ?

 

Pour te saisir, poème : essor, fuite et durée,

Un esprit a lutté contre lui-même, un cœur

Compta ses battements, une âme s’est murée,

Un combat s’est livré. L’aède est un vainqueur.

 

Illumination éphémère et secrète,

Abandon magnifique au miracle attendu,

Votre éblouissement a crée le Poète,

Tentation de l’univers, fruit défendu.

 

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Silence enseveli dans les durs monastères,

Pleurs des austérités, sanglotantes prières,

Cilices, de la chair arrachant des lambeaux

Lorsque l’amour a fui bien loin des lits nuptiaux.

 

Je pense à vous mes sœurs, dans l’éternelle absence

Qui, sur le rêve humain, assure la puissance ;

Rose ou flèche, briller, n’être qu’un souvenir,

Quel fulgurant sillage au ciel de l’avenir !

 

Que ta soif de durée aujourd’hui se nourrisse,

Femme, du grain amer et doux du sacrifice ;

Dédaigné, le plaisir est un maître asservi

Et tout renoncement, d’un délice est suivi.

 

Ose l’effacement. Brise la passerelle

Sur l’abîme des jours. Le silence est une aile.

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Je m’abandonne à toi, cendre sur le flambeau,

Silence qui s’achève aux portes du tombeau !

 

 

Jeanne MARVIG.

 

Recueilli dans Anthologie de la Société des poètes français, t. I, 1947.

 

 

 

 

 

 

 

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