Ne crois pas
Mon dernier mot !
Chère enfant, ne crois pas ce qu’on dit dans le monde,
Car tu pourrais douter de l’amour et de Dieu ;
Crois plutôt ce que dit la nature qui gronde
Au sein de l’océan et des volcans en feu.
Des débris du passé ce monde vient de naître
Aussi grand que l’idée, aussi faible que toi ;
Il s’enchaîne lui-même et traite l’homme en maître,
Il aime, il doute, il hait... oh ! ne suis pas sa loi.
Si j’avais craint pour toi la tourmente mondaine,
Qui prend comme le flot pour rejeter après,
J’aurais conduit tes pas à travers bois et plaine
Vers des sentiers cachés par l’ombre des cyprès.
Lorsqu’on lutte dix ans dans notre Babylone,
Pour saisir le bonheur qu’on espère toujours,
L’âme se rétrécit, plus rien, Seigneur, n’étonne,
Et les poumons brûlés s’épuisent tous les jours,
Et l’on n’a rien saisi dans cette lutte immense
Parce qu’on voulait tout embrasser à la fois,
Parce que l’homme, hélas ! jette à tort sa semence
Et qu’il ne comprend pas la majesté des bois.
S’il oubliait un peu son désir d’être riche,
S’il disait à l’orgueil un éternel adieu,
S’il aimait pour aimer, si, partageant sa miche,
Il comprenait qu’il rend ce qu’il reçut de Dieu ;
Lorsque la forêt gronde et palpite et s’éveille
Sous l’étreinte d’amour d’un souffle printanier,
Si l’homme tressaillait devant l’aube vermeille,
Devant tant de grandeur, oh ! s’il pouvait prier !
La croyance chez lui remplacerait le doute,
L’amour serait plus grand, plus certain le bonheur ;
Le monde marcherait sur une même route
Et je n’aurais pas craint qu’il m’enlevât ton cœur !
Julien MARYT.
Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.