Hommage à Louis Le Cardonnel
Ton beau nom prononcé, Louis Le Cardonnel,
Sonne comme un appel de cloches en plein ciel,
Dans l’éternel matin d’un monde originel.
Et comme un chant descend de la nue entr’ouverte,
Ton clair nom gaélique, ô fils des vieux chanteurs,
Tout chargé de l’odeur de ton Irlande verte,
Nous arrive du Nord quand souffle avec lenteur
Ce vent frais saturé de mer et de bruyère
Qui nous porta d’Yseult le vaisseau légendaire...
Ta jeunesse pensive et chaste fut la sœur
De Morgane, d’Urgéle et des elfes danseurs,
Et la forêt magique a fasciné ton cœur,
Te prenant par la main, Wordsworth et Coleridge
Te menèrent un soir au bord de calmes eaux ;
Tennyson en mourant te légua ses prestiges,
Et Wagner l’Enchanteur te rouvrant les châteaux,
Sonores de silence, où dormait le Symbole,
Ton âme épanouit ses neuves paraboles.
Ô belle époque ardente et grave ! Mallarmé,
Dans le corps transparent d’un poème fermé,
Bulle de cristal close, incarnait l’Innommé.
Baudelaire était mort, de qui l’âme inquiète
Ne pouvait s’exiler, ô Paradis perdu,
D’un merveilleux passé qu’il n’avait pas vécu.
Mais toi, Le Cardonnel, en proie aux voix secrètes,
Tout en semant tes vers comme un tremblant essaim,
Tu rêvais dans ton cœur un destin plus qu’humain.
Au cloître, à Ligugé, les mains ointes du chrême,
Un fils de saint Benoît écrit ces purs poèmes
Qu’en son renoncement il signe : frère Anselme.
Mais s’il chante la Prose aux Abbesses du Nord,
À Brigitte d’Irlande, à Bathilde de France,
S’il tourne encor les yeux vers le ciel gris d’Armor,
Il se rappelle aussi la romaine Valence
Dont l’azur maternel, imprégnant son matin,
Dans son âme à jamais versa le goût latin.
Dans un beau soir baigné de douceur ombrienne,
Un Celte a découvert la candeur franciscaine,
Et rythme avec amour sa joyeuse antienne.
Le voici, pèlerin dans le printemps toscan,
Lorsqu’à la vigne en fleurs l’olivier se mêlant
Frémit sur la colline où le cyprès s’élance
Et le prêtre-poète, humaniste chrétien,
Vient goûter la sagesse, aux jardins de Florence,
D’Ange Politien, de Marsile Ficin.
Ô cygne hyperborée aux éclatantes plumes,
Qu’une mer d’émeraude éclaboussa d’écume,
Et qu’un vent froid chassa loin des natales brumes,
Quand tu ployas ton vol aux rivages en fleurs,
Serrant contre ton cœur ton antique héritage,
Un souffle élyséen balançait les feuillages...
Et ton front, bruissant des lais des vieux harpeurs,
Recueillit les trois voix, que ton vers éternise,
De Platon, de Virgile et de François d’Assise.
Paul MAUBERT.
Paru dans Cahiers de la Nouvelle Journée, no 2, 1924.