Les alouettes

 

                À la mémoire de mon frère Georges,

                      mort pour la France.

 

 

Le brouillard blanchissait au creux mou des futaies

Et l’Aube, rejetant son béguin violet,

Se frottait doucement les yeux au bord des haies,

Lorsqu’un cri pénétrant comme l’odeur que crée

De son éclatement si tendre le muguet,

        Prit à l’assaut le ciel muet.

 

On eût dit que, domptant leur aile mi-fermée,

Elles voulaient par la caresse de leur voix

Instinctive asservie à sa note alarmée,

Attirer le soleil sur les fleurs essaimées,

Pendant que le coucou s’essoufflait par les bois

Comme un guerrier mourant du deuil de son aimée.

 

Qui n’aime au sommet clair du plateau, dans l’air frais,

Suivre en son vol cette force éblouie ?

        Parfois un couple s’ingénie

À délivrer l’écho de nocturnes secrets,

Puis l’une s’ébrouant comme au sortir d’un rets

Lamine en haut sa fuyante harmonie.

 

        Le jour rit en nuages blancs,

Légers et doux comme une illusion d’enfants ;

C’est alors que l’oiseau, dans le contre-jour blême

Pousse toujours plus haut son essor convulsif

Comme s’il délirait d’une beauté suprême

Tout-à-coup entrevue au fond des cieux pensifs.

 

Note lointaine et longuement filée

Qu’ensuite l’on entend, toute fièvre écoulée,

Sans voir qui te soutient d’un vol soudain plus lent,

Par toi la volupté poétique s’élève

Et la conque d’azur des cieux s’emplit de rêve,

Et l’homme écoute avec ravissement !

 

Ô fier matin, vertige, invisible empyrée,

Où l’énigme du monde ainsi chuinte et se perd !

Le promeneur s’étonne, et dans le seigle vert,

La jeune aile du nid sent l’ivresse de l’air,

Et la terre en ses plis d’opulence ajourée,

Se montre initiale et de nouveau sacrée.

 

Vienne le soir élégiaque et pur :

Comme aux vitraux d’aériennes cathédrales,

Nous reverrons monter cette ivresse en l’azur,

Ce délire aux gauches spirales,

Tandis qu’un poudroiement dans le ciel amassé

Magnifiera l’univers délassé !

 

        Chant qu’un délicieux mystère

Dans le soir scrupuleux presse au large des terres

        Comme un adieu persuasif,

Comme un répit plein de larmes heureuses,

Quel sens plus doux que l’or des étoiles peureuses

Modules-tu, dont notre âme est à vif ?

 

Viens-tu donc au seuil des nuits lentes

Consoler près des nids où sommeillent les tiens,

        Ceux qui sont morts comme tu chantes

Pour la beauté des cieux sur de libres destins,

Abandonnant leurs jeunesses ferventes

À l’acier monstrueux dont tremblaient les lointains ?

 

        Comme ton pipeau sollicite !

Viens-tu donc annoncer, dans le soir miroitant,

Que la bonté s’approche, et qu’on entend

Le pas libérateur de ces anges qu’invite

L’espoir de diamant des sages inspirés

Depuis des temps presque désespérés ?

 

        Ô voix, sur le bleu toit de rêve

Du monde, viens à nous, parle à nos morts, achève

Ta glanée au-delà des adieux et des pleurs !

Le couchant n’est plus qu’un naufrage de vapeurs,

Les gouffres de la nuit s’ouvrent sous les patries :

Verse ta paix au sang de la terre appauvrie !

 

 

 

Robert MAURICE.

 

Paru dans Rythmes et couleurs

en septembre-octobre 1969.

 

 

 

 

 

 

 

 

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