La bataille de la Marne
ODE HISTORIQUE
AΛΛA ΓAP A MEΓAΛΩΝΤΜΟΣ ΗΛΘΕ ΝΙΚΑ
SOPH. Ant.
DELUBRO VICTORIAE AQUENSI
Inscription d’Aix.
Sian Gau, Rouman e gentilome
MISTRAL.
I
La Montagne de la Victoire
Donne son souffle à nos drapeaux,
À sa voix deux mille ans d’histoire
Sortent en criant des tombeaux,
Comme un soleil sur la nuée
Toute la Gaule s’est ruée :
Mère des lois, mère des arts,
Notre Pallas est sœur d’Hercule,
Au double assaut déjà recule
Un germanique et faux César.
Ô toi, plus basse que les terres
D’où sont vomis tes combattants,
Ô dans ta paix et dans ta guerre
Singe inutile des Titans,
Race allemande qu’enfle et grise
L’impunité de la traîtrise
Et l’ignorance de l’honneur,
Aucun reproche ne te presse
Comme du manque de sagesse
Qui de tout temps souilla ton cœur.
Tu ne sais pas la loi des mondes
Qui pour renaître fait mourir
En des épreuves si fécondes
Que le plus lâche y veut courir
Pour égaler sa haute somme
L’être de l’âme se consomme,
De tous ses maux naît quelque bien,
Seule une race abandonnée
Des justes dieux est condamnée
Au crime qui ne sert à rien.
Le long de tes annales sombres
Hurle la flamme, pleut le sang
Et ton marteau dans les décombres
Frappe des coups retentissants,
Ce qui te plaît, ce qui t’importe
Est le charnier des villes mortes,
Ta seule gloire est de nourrir,
Sans l’apaiser par les ravages
Qui te flétrissent d’âge en âge
L’unique faim d’anéantir.
II
Amis, nos cœurs se réjouissent
Non d’égaler des arrogants
Ni d’imiter cette avarice
Des assassins et des brigands ;
Un noble esprit ne s’enamoure
Que de la terre qu’il laboure,
Du flot amer qu’il a dompté,
De la maison qu’il a construite,
Marbres polis, argiles cuites
D’ardoise fine surmontés !
À modeler les ressemblances
De l’animal et de l’humain,
Une secrète véhémence
Bientôt réchauffe notre main,
De l’artisan la grâce innée
D’une industrie est raffinée
Qui le polit d’âme et de corps,
Ses idéales créatures
Dans leur reflet le transfigurent
Pour l’emporter dans leur essor.
Il a touché la grave lyre
Il y fait résonner les Vers
Qui permettront enfin d’élire
Sa destinée à l’univers :
En s’éveillant aux voix de l’Âme
Les rocs, les eaux, les vents, la flamme
S’étonneront de recevoir
Notre chaleur, notre semence,
Notre mesure de l’Immense,
Notre cruel et gai savoir.
Quand l’art sublime se repose
L’Âme conçoit sa royauté
Et la consacre et la dépose
Au fondement de la Cité :
Né d’une haute forteresse,
De l’horizon dame et maîtresse,
J’ai tout reçu du sol natal
Et le langage de mes pères
Dit l’alliance qu’y frappèrent
Le licteur et le fécial.
Ici, gardien du Caducée,
Brille le Glaive court et droit,
Dans notre enceinte policée
Germent les Mœurs et naît le Droit,
Ici revient, de cime en cime,
Le vol des maîtres de l’abîme
Et son bonheur, enfant des cieux,
Remonte dire à l’empyrée :
– La race humaine invente et crée,
Image vive des Grands Dieux.
III
Telle est la loi de tous les hommes
Hôtes des champs et des maisons
Qui sont régis comme nous sommes
Par les clartés de la raison
Mais toi, sans ville ni bourgade,
Coureur de bois, batteur d’estrade
GERMAIN, pourquoi cesserais-tu,
Par les déserts de ta patrie,
De cultiver la pillerie
Comme héritage de vertu ?
Sombre climat, morne campagne
Que tes rhéteurs gonflent en vain,
Le triste sol des Allemagnes
Est pauvre et plat comme ses vins :
Du fade esprit dont tu te gorges,
Fleur de houblon, semence d’orge,
Ton jeune mâle est de sang froid,
Sa Vénus lente est si rétive
Qu’une débauche maladive
Ronge tes peuples et tes rois.
Grand corps enflé d’aigre sanie,
Ta carapace l’étouffant,
Un dieu propice, ô Germanie,
Te délivra de tes enfants
Et, par justice ou pour épreuve,
Précipita sur notre fleuve
L’obscène flux de ces bâtards,
Qui nous déborde et nous submerge
Si le soldat ne veille aux berges
Ou s’il accourt un peu trop tard.
Ainsi s’épandent, chair trop blonde
Où frise un poil décoloré,
Les torses gras où surabonde
Un intestin démesuré !
Fille du Nombre et de la Masse
Ainsi s’accroît la populace
Des demi-hommes aberrants ;
Mais, ni volume ni stature,
Nulle méprise de nature
Ne les assoit sur notre rang.
Vulgaire enfant qui te fais gloire
De ton nom qui salit un mur,
Tu peux charger nos promontoires
De tes vocables les moins durs,
Depuis Thulé jusqu’en Sicile
Ta longue course est si stérile
Que tu ne plantes nulle part
Les Thermes, l’Arc ou la Statue
Signés : – La main qui brûle et tue
Aspire encore à d’autres arts !
Voilà pourquoi nos terre-mères
T’ont dévoré dans leurs tombeaux,
Nos chastes cieux dans leur lumière
T’ont vidé comme un verre d’eau :
Ou tu reviens l’oreille basse
À ton désert que Boniface
Pénétra seul la hache en main,
Pour mettre en pièces tes idoles
Et enseigner une parole
Qui t’imposât le masque humain.
IV
– Non, la germaine multitude
Brute naquit et gardera
Le parler rauque et l’âme rude
Que nul baptême n’ondoiera :
Quelque bienfait que l’on t’inflige
Le dur orgueil à son vertige
De longs murmures te meurtrit
Tu te déchires à toi-même
Et détruisant tous ceux qui t’aiment
Tu te repais de leurs débris
Chargeant l’habit du gentilhomme
Sur ta carcasse de vilain
Qui voulus être roi de Rome
Et mis à sac le Siège saint,
Tu fuis, pliant sous ta rapine,
Les anathèmes que fulmine
Un vieil évêque frémissant
Et, cœur trop faible pour y croire,
Ris de la bulle de Grégoire
Ou du concile d’Innocent !
Pères sacrés de notre Europe
Fondateurs de la Chrétienté,
Ô plus modestes que l’hysope,
Qui le grand chêne avez planté,
Pâtres, Pêcheurs, Docteurs, ô Prêtres,
Toute raison sut reconnaître
L’ample pitié qui vint de vous
Qui, dans sa honte et sur sa fange,
Fîtes chanter le chœur des anges
Pour apprivoiser l’Homme-loup !
Enveloppant d’un jour tranquille
Les soubresauts de l’animal
Le Roi-Prophète et la Sibylle,
Muse du seuil pontifical,
À la Tunique sans couture
Ont annoncé la déchirure
Dès que ce fauve des forêts
Quittant l’armure pour l’étole
Et le carnage pour l’École
À son tour argumenterait.
De la bonté du Sacerdoce
Un peuple entier s’était nourri,
De la puissance de la Crosse
Épée et Sceptre avaient fleuri,
Jamais la horde moins grossière
N’a compté d’heure plus prospère,
L’aigle étreignant le globe d’or
À la grand’voile se déploie
Et les vents que l’aurore envoie
Bercent la Nef de port en port :
Un seul vaisseau fait mille épaves
Et, des mille navigateurs,
S’il en surnage un seul, esclave
De la houle et du vent moqueur,
À la dérive sous les astres
Le réchappé du grand désastre
Chevauchant un mât sans agrès
Boit en pleurant l’écume blanche
Et vocifère que sa planche
Est l’arche même du Progrès.
V
À la porte de la Chapelle
J’ai lu l’écrit, frère Martin,
Qui, promulguant la foi nouvelle,
Vous émancipe du Latin :
– César, et Pierre, et leurs curies
Font une même idolâtrie !
Entre le feu du ciel et moi
Que nul esprit ne se propose !
Que nulle voix mortelle n’ose
D’un cœur d’homme régler la voix !
Plutôt mes bauges d’Hercynie
Que de servir sous votre toit !
Que toute chaîne soit bénie
Qui m’affranchisse de vos lois !
C’est de mon Dieu que vient la flamme
Incendiaire ! Cette lame
Parricide est de mon Seigneur
Qui veut l’essor de ma nature
Et qui remmêle sans mesure
L’or et la vase de mon cœur !
Esprit, tu rampes et tu doutes !
Tu volerais au Saint des Saints
Si tu brisais ces basses voûtes
De marbres faux, de panneaux peints,
Et, restituant à leur cendre
Où tout péché veut redescendre
Ton art profane et ses amants,
Tu repoussais la libertine
Et raisonneuse erreur latine
Des confins de l’Homme allemand.
Mon Dieu n’est pas un hypogée
Où l’homme enterre son trésor !
Ta voix, mon Dieu, n’est point gagée
Pour nous absoudre de la Mort !
Que chacun pour soi-même expie
Exterminons le rite impie
Qui se joua de tes courroux
Et trafiqua de la prière
Que notre sœur ou notre frère
Entreposait sur tes genoux !
Mon Dieu condamne ou nous fait grâce
Père du crime et du pardon,
Le Solitaire des Espaces,
De nos mérites nous fait don,
Au pur soleil de sa Justice
Que veut l’encens d’un sacrifice
Injurieux et superflu ?
Je dissiperai dans sa gloire
Ce flot d’amour où n’ont pu boire
Ni les damnés, ni les élus.
Ainsi parlait l’Assemble-Nues :
– Ô corruptrices de l’azur,
Savez-vous ce qu’est devenue
La mystique rose au cœur pur
Qui, neige et feu, sous de longs voiles
Qu’auréolèrent sept étoiles,
Emparadisa Terre et Mer
Et, du péché libératrice,
De la douleur consolatrice,
Eut pitié même de l’Enfer ?
Dites-nous : la Vierge Marie
Ne règne plus dans votre ciel
Et votre terre défleurie,
Désert de cendres et de sel,
Ne mène plus l’ogive en flamme
S’ouvrir aux pieds de Notre Dame,
Jurer l’amour entre ses mains
Et lui chanter : – Ô belle, ô claire,
Dans la maison d’un même Père
Abritez nos cœurs pèlerins !
Par quelque injure qu’il réponde
Le Barbare n’écoute rien
Quand il lui plaît de faire au monde
Quelqu’un des maux qu’il nomme biens :
Aux volontés des créatures
Un vent d’erreur et d’imposture
Persuadant de s’affranchir,
Des multitudes enhardies
Les folles armes sont brandies
Pour la Vengeance et le Désir.
Quand la martyre est sur la roue,
Toutes jointures se rompant,
Le pauvre corps n’est qu’une boue
Que l’âme quitte avec le sang :
Ainsi, royaume par royaume,
Au chant des cloches et des psaumes,
Cinquante peuples irrités
De leur Vistule à notre Sambre
Brûlent, tenaillent et démembrent
La moribonde Chrétienté.
VI
Victorieux au nom de flamme *
Par vous s’annonce le retour
Du châtiment que nous donnâmes
À ces forfaits des anciens jours !
Du tourbillon de votre épée
La Germanie enveloppée
Languit à votre tribunal
Et dans le maître qui s’avance
Elle connaît la forte France
Du Roi Juste et du Cardinal.
– Père Joseph de la Tremblaye,
Rouvrez vos yeux sous le froc gris ;
Père Joseph de la Tremblaye
Brisach est pris, Brisach est pris !
L’Ombre de l’aile des Victoires
A réparti les territoires
De la Hollande au Seuil Romain...
Mais le vieux fleuve ami s’étonne
Du blanc pavois qui te couronne,
Atroce mère du Germain !
Elle a levé ses mains sanglantes,
Hâve d’horreur entre nos coups,
Elle a fait de nos deuils fumante
Plier sa tête à nos genoux.
Où descendra sa modestie ?
Mais ta prudence est avertie,
Sage et puissant glaive de feu !
Sous l’horizon que tu déchires
Prévois, préviens ce que conspire
Un génie artificieux :
Rappelle-toi, parmi ses larmes
Et son tumulte de sanglots
Toutes les fois qu’au choc des armes
Elle a roulé dans le champ clos,
À nous tromper quel soin fertile !
Elle affectait des airs tranquilles,
Un pas traînant, le col penché :
Telle, au couvert de la nuit lente,
Eût apparu, douce et dolente,
Une servante de Psyché.
Elle avait peint sa tête rousse
Des marguerites de nos bois
Et sans savoir la rendre douce
Elle avait déguisé sa voix,
Elle chantait nos pastorales,
Elle dansait nos provençales,
Mimait Beaux-Arts, Science, Droit,
Médecine, Théologie,
Et réservait pour l’Élégie
L’ultime flèche du carquois !
Dans nos bontés grandit sa ruse :
Au simulacre de l’Esprit,
Quand la Gorgone fait la Muse
Le populaire est vite pris,
Mais au cœur sage qui l’écoute
Naît le soupçon, frémit le doute :
– Que nous voulait un art menteur ?
Une logique sans critique,
Une critique apodictique,
Petit esprit dénégateur ?
Tu ne remplis la destinée
Qui soit sensible à la Raison
Que si ton âme nous est née
Pour apprêter quelque poison,
Pour, ô Locuste, ô Canidie,
Infecter de ta maladie
Un sang trop chaud, des cœurs trop vifs,
Hurler un son qui nous égare
Et nous changer en fous barbares
Énervés de ton cri plaintif.
En révoltés énergumènes
Brisant l’étai de notre toit,
En pauvre plèbe souveraine
Coupant la tête à notre roi,
En idolâtres de notre ombre,
En écolâtres d’erreurs sombres
Dites éclairs illuminants,
Puis, au chemin que prit Alcide
Vers les hauts lieux du Suicide,
En sacrifiés rayonnants !
Quand une main s’est désarmée
Qui broya l’Hydre et le Lion,
Bientôt dans Lerne et dans Némée
Éclate la rébellion :
De leurs souillures triomphales
Toutes les races du Stymphale,
Couvre les champs et la cité,
À la lumière reconquise
Osant l’insulte qu’a permise
L’héroïque imbécillité.
Ainsi, du creux des basses grèves,
Cependant que l’Œta gémit,
Tu te gonflas, absurde rêve,
De l’héréditaire ennemi :
Le Dieu malade, à bout de forces,
Pour son bûcher taillant l’écorce
Et le sarment du boute-feu,
– Ah ! criais-tu, flammes futures,
Quand tournoieront vos chevelures
Perdons Alcide au fond des cieux !
Mais toi qui sus, ô fils d’Alcmène
Victorieux de tous les sorts,
Traîner tes races par la chaîne
De tes saintes paroles d’or,
Âme et figure de la France,
Au plus aigu de ta souffrance
Es-tu le maître de mourir ?
Hors de l’embûche teutonique
Envole-toi, cœur magnifique
D’Alcide héros et martyr !
Et vous, esclaves qu’il faut pendre
Au gai retour du maître absent,
Pour avoir trop rêvé d’étendre
Un bas empire évanescent,
Ce bout de corde vous mesure
La destinée à l’encolure :
Les Dieux cléments n’auront voulu
Que déclarer par votre signe
Entre cent peuples le moins digne
Du commandement qu’il n’a plus.
VII
Quand le dernier-né des Guillaumes
A les dés de son sort jetés
Il tient unis trente Royaumes,
Républiques, Principautés,
Petits et grands Duchés, Empires,
Pair ou second chacun l’admire,
Au cri de guerre ils ont tous ri
Sans excepter une canaille
Qui de n’avoir ni sous ni maille
Rêve abondance dans Paris.
Mais aussitôt que la machine
Que montèrent ces insensés
Eut son carnage et sa ruine
Au bord de Meuse commencés,
Plainte et Pitié, Honte et Colère
Même Épouvante conjurèrent
Ce qui restait du genre humain,
Un million de beaux éphèbes
Voulut goûter sous notre glèbe
À la Nuit qui n’a plus d’hymen.
Et, sans attendre leur venue,
Toute la grâce et tout l’honneur
De notre race méconnue
Courut offrir au moissonneur
Une poitrine cuirassée
Du seul airain de la pensée,
Des seules fibres d’un bon cœur :
Les purs enfants de cette terre,
Six jours, six nuits la disputèrent
Au Barbare à demi vainqueur.
Il avait mis toute son âme
Dans les chars et dans les chevaux
Qui déroulaient, ô fer ! ô flamme !
Ses fulgurants les plus nouveaux.
Mais du Limbourg à la Champagne
Et du tombeau de Charlemagne
À l’environ de saint Denis
Leur file hésite, flotte, gronde
Et se rebrousse comme l’onde
Sur une barre de granit.
. . . . . . . . . . . . . . . .
Oiseux témoin de tant de gloire,
Soldat-né qu’oublia le sort
Loin des travaux de la Victoire
Et des couronnes de la Mort,
J’ai, du fossé de nos murailles
Où le flot roule ses entrailles,
Fait au Germain calamiteux
Cette chanson que j’ai chantée
À la manière de Tyrtée,
Le maître d’école boiteux.
Charles MAURRAS,
La musique intérieure.
* M. le Maréchal Foch.