Près des deux petits lits
Il est tard. Le feu meurt dans l’âtre.
Le froid, la nuit, sont triomphants.
C’est l’heure des bals, du théâtre,
L’heure du sommeil des enfants.
Ils dorment tous les deux, mes anges ;
Sous leurs yeux clos, les noires franges
Des cils font des ombres étranges...
Oh ! le repos les embellit !
Leurs têtes sont auréolées
De leurs boucles d’or emmêlées,
Et leurs menottes potelées
S’abandonnent, au bord du lit.
Ils dorment... Lorsque je contemple
Leurs fronts purs et leurs traits si doux,
Mon Seigneur, comme dans le temple,
Devant toi je tombe à genoux.
Ô le Créateur de nos âmes !
Tu fis le cœur aimant des femmes,
Les soleils aux rayons de flammes
Qui, sous tes pieds, roulent, soumis,
Le chant de l’oiseau qui s’éveille,
Le ciel, la mer au ciel pareille,
Mais voilà ta grande merveille :
Deux petits enfants endormis !
Et moi, devant ce charmant couple
Qui repose jusqu’au matin,
Lui, bien pris dans sa taille souple,
Elle, avec ses chairs de satin,
Je songe, et quelquefois je pleure :
Enfants, que rien de mal n’effleure,
Savez-vous que sonnera l’heure
Où le monde, qui paraît loin,
En dépit d’une mère aimante,
Comme un fleuve à l’onde écumante,
Entraînera dans sa tourmente
Vos cœurs, dont je prends tant de soin ?
À toi, qui seras bonne et tendre,
Qui rêveras la vie à deux,
Ma fille, si tu veux l’entendre,
Il dira, ce monde odieux :
Que l’homme toujours est volage,
Que l’amour s’envole avec l’âge,
Que, pour faire un bon mariage,
Tes songes bleus sont superflus ;
Et, pour détruire ta chimère,
Il prend, – dérision amère, –
L’heure où les baisers de ta mère,
Enfant, ne te suffisent plus !
À toi, mon fils, qui dans ta vie
Verras le bien, jamais le mal,
À toi, de qui la seule envie
Sera de croire à l’idéal,
Il dira : « La France ? elle est morte,
« La Foi ? Ta science l’emporte.
« L’Hymen ? Oh ! s’il frappe à ta porte
« Avec de beaux airs triomphants,
« Songe à tous les maux qu’il entraîne,
« Et prends pour ta loi souveraine
« La devise contemporaine :
« Beaucoup d’or, et très peu d’enfants ! »
À ce sifflement de vipère,
Si dans l’amour tu perds la foi,
Ô ma fille ! Songe à ton père,
Ô mon fils ! Souviens-toi de moi.
Et puis, conservez sans entrave
Les lois que dans vos cœurs Dieu grave.
Toi, sois vaillant, fidèle et brave,
Sers ton pays comme les forts.
– Toi, donne des fils à la France. –
Du courage, de l’espérance !
Mieux vaut le poids de la souffrance
Que la souffrance du remords !
Madeleine MAURIN.
Paru dans L’Année des poètes en 1892.