Simple vie
Oh ! laissez-moi mes rêveries,
Mes beaux vallons, mon ciel si pur,
Mes ruisseaux coulant aux prairies,
Mes bois, mes collines fleuries,
Et mon fleuve aux ondes d’azur !
Laissez ma vie au bord de l’onde
Comme elle suivre son chemin,
Inconnue aux clameurs du monde,
Toujours pure, mais peu profonde,
Et sans peine du lendemain.
Laissez-la couler lente et douce
Entre les fleurs, près des coteaux,
Jouant avec un brin de mousse,
Avec une herbe qu’elle pousse,
Avec le saule aux longs rameaux.
Mon âme est un oiseau qui chante
Sous la ramée, au fond des bois ;
Sa plainte est naïve et touchante ;
La solitude, qu’elle enchante,
Donne mille échos à sa voix.
Mes heures, à tout vont bercées,
S’en vont, se tenant par la main :
Sous leurs pas légers mes pensées
Éclosent belles et pressées
Comme l’herbe aux bords du chemin.
On dit que la vie est amère.
Ô mon Dieu ! ce n’est point pour moi :
La poésie et la prière,
Comme une sœur, comme une mère,
La bercent pure devant toi.
Enfant, elle poursuit un rêve,
Une espérance, un souvenir,
Comme un papillon sur la grève ;
Et chaque beau jour qui se lève
Lui semble tout son avenir.
Les jours lui tombent goutte à goutte,
Mais doux comme un rayon de miel ;
Il n’en est point qu’elle redoute.
Ô mon Dieu ! c’est ainsi, sans doute,
Que vivent tes anges au ciel.
La mort doit nous être donnée
Douce après ces jours de bonheur ;
Comme une fleur demi-fanée,
Au soir de sa longue journée,
On penche sa tête, et l’on meurt.
Et si l’on croit, si l’on espère,
Qu’est-ce, mourir ? Fermer les yeux,
Se recueillir pour la prière,
Livrer l’âme à l’ange son frère,
Dormir pour s’éveiller aux cieux.
Pierre-Justin MAURICE.
Recueilli dans
Recueil gradué de poésies françaises,
par Frédéric Caumont, 1847.