Une retraite
Ce matin est joyeux comme un matin de Pâques. –
Le vieux parc refleurit sous l’averse. Il a plu
Toute la nuit – et le ciel tremble dans les flaques.
Las de tant d’amitiés et d’amour, j’ai voulu
Faire un peu de silence en mon âme inquiète.
Je vais l’interroger dans le vieux parc rêveur
Que le vent fait chanter le soir, comme un poète,
Pour qu’elle entende mieux la voix de son Sauveur
Et soit – plus ardemment que jamais – sa Sujette.
I. LES LIVRES
Voici l’Imitation de Jésus-Christ, où gît
Tout mon passé d’enfant mystique et raisonnable.
Voici les vers du pauvre Verlaine assagi –
Ces vers lourds des sanglots d’un amour ineffable.
Pascal me va guider en la nuit de mon cœur
Vers des infinis de misère et de grandeur.
Et voici mon missel, dont j’ai lu chaque page
Aux vêpres du collège, en la lourde chaleur,
Avec des noms d’enfants sur de vieilles images
En ivoire, où l’on voit un calice et des fleurs.
On y lisait des approbations d’évêque
Et les prières pour la pluie et le beau temps,
Aux vêpres du collège où l’on s’endormait presque
Dans les dimanches clairs et lourds d’anciens printemps.
Et voici l’Évangile, enfin – inépuisable
Source où vient s’abreuver mon âme misérable,
Où je vous vois rêvant aux margelles des puits,
Prêchant sur la montagne et calmant la tempête,
Mon Seigneur et mon Dieu, qui venez vers ma nuit
Et qui m’ouvrez vos bras afin que je m’y jette !
II. LA MESSE
La vie inquiète est là tout près qui me repousse.
Elle ne franchit pas le seuil du vieux jardin.
À l’autel brun et or, aux messes du matin,
On entend comme un froissement de choses douces...
La vie est là, mais je ne crains pas son atteinte.
Le prêtre se retourne avec un geste lent,
Et dans le son aigu d’une cloche qui tinte,
Il élève le Pain lumineusement blanc,
Qui monte sur nos fronts comme un soleil levant,
Au vol silencieux des anges invisibles.
La chapelle cirée est nette au jour paisible
Et pleine de l’abaissement du Dieu vivant...
III. L’EXAMEN PARTICULIER
Dans la prairie, au long des minces peupliers,
Je marche lentement, la tête un peu baissée,
Et craignant que s’égare au hasard ma pensée,
Je m’isole pour l’examen particulier.
Cependant que la voix doucement importune
D’un jeune homme qui fait tout haut ses oraisons
Monte sous la verdeur des jeunes frondaisons,
Mon âme est une trouble et profonde lagune
Où je jette la sonde et cherche les bas-fonds.
Mon Dieu, sous le pardon de votre ciel, ce soir
Je découvre humblement le fardeau de misère
Que je portais au fond de moi, sans le savoir,
Dans l’ingénuité de mon âme légère...
Si légère, qu’au long des jours et des années,
Elle a toujours cherché le tumulte et le bruit,
Redoutant plus que tout ce silence des nuits
Qui nous met face à face avec la destinée...
Dans l’allée ondulante et unie à souhait
Pour que l’on y médite un à un les mystères,
Je croise des amis souriant de se taire
Et de me saluer d’un petit geste austère...
Je songe à tout le bien que mon âme eût pu faire
À l’âme rencontrée et qu’elle n’a pas fait.
Je songe que de Vous, ô mon Dieu, séparé,
J’aimai les vieux pastels, les fleurs, les livres rares,
L’étoffe douce où longuement les doigts s’égarent
Et fus triste – goûtant le bonheur de pleurer...
On ne me vit jamais errer sur les chemins
Où la foule s’épand – fleuve mélancolique ; –
Avec les vers en moi chantant, et la musique,
J’étouffais les appels et les sanglots humains.
Mais, prodige d’amour, de pardon et de grâce !
Vous n’avez pas voulu que mon cœur fût banni
Du banquet nuptial – ô pitié jamais lasse ! –
Et remède infini près du mal infini,
Si grand que soit ce mal, votre amour le dépasse.
Je retourne à la vie, ardent, joyeux et fort,
Le cœur pacifié, l’âme encore éblouie,
Comme l’apôtre au soir des visions inouïes
Et qui silencieux descendait du Thabor.
Comme ceux-là qui sur le chemin d’Emmaüs,
À cette heure où la nuit à venir est si lente,
Sentaient, dans la douceur du soir, leur âme ardente,
Cependant que vous leur parliez – Seigneur Jésus.
François MAURIAC.
Recueilli dans Poètes de Jésus-Christ,
poésies rassemblées par André Mabille de Poncheville,
Bruges, Librairie de l’Œuvre Saint-Charles, 1937.