Selon l’angle
Notre fortune est sur la roue.
Honneur à qui triomphe ! Honte à lui s’il échoue !
Ainsi, bouleversez la croyance et la foi,
Renversez l’ordre et transformez la loi,
On vous empale, on vous étrangle,
On vous coupe la tête, ou bien l’on vous fait roi.
C’est selon l’angle.
L’insuccès seul est défendu.
Tout est sauvé quand tout n’est pas perdu,
Et l’on est couronné si l’on n’est pas pendu.
Selon l’occasion le meilleur ou le pire,
On est un fondateur d’empire
Ou le plus sombre chenapan.
Ou bien les deux, cela dépend.
L’homme juge en zig-zag, et son code varie.
Pour un même acte, on est le traître ou le sauveur,
Et le sinistre agitateur
Est proclamé soudain Père de la Patrie !
Avant de naître, on est marqué.
Notre faible cerveau ne fait pas la balance.
Rien n’est plus criminel qu’un coup d’État manqué.
Un martyr est un dieu qui n’a pas eu de chance,
Le saint qui réussit est dieu de son vivant,
Et cette simple différence
Provient de fa façon dont a soufflé le vent.
Exemple, la fameuse chute.
Lorsque Satan, archange fort coté,
Fut vaincu par Dieu dans la lutte,
Et lorsqu’il fut précipité,
Il devint ce monstre effroyable :
L’Esprit du Mal, le Démon détesté,
Le Diable !
Tout blanc ! Tout noir ! Pas de milieu !
Mais s’il avait remporté la victoire,
L’affreux Satan, auréolé de gloire,
Aurait reçu de nous le nom sacré de Dieu,
Et le bon Dieu, – terrible histoire ! –
Précipité dans le gouffre des mers,
Aurait été Roi des Enfers !
N’abusons pas du piquant exercice
Qui consiste à tourner la légende à l’envers,
Car on prête un sens double, hélas, au mot malice.
L’ironie est un jeu pervers,
Le paradoxe est son complice.
Tout est au mieux. La joie emplit notre univers.
Dieu possède à la fois la force et la justice.
Grâce à lui, rien n’est de travers ;
Que Sa Volonté s’accomplisse !
MAXIME-LÉRY, Fables, 1937.