Paix sur Terre

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Georges MAZE-SENCIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Noël 1914.

 

QUELS sentiments n’éveillent-ils pas en nous-mêmes, cette année surtout, en cette fête de Noël, douce et consolatrice quand même, ces mots clamés par le choeur des anges, et qui, par une claire nuit de la Judée retentirent, il y a près de deux mille ans, ces mots qui firent tressaillir de joie la terre entière et qui jetaient dans l’âme des bergers surpris et charmés en les écoutant, une confiance et un apaisement infinis.

Paix, Paix sur terre !

Jamais, peut-être, depuis les temps lointains où ils furent prononcés, ces mots ne revêtirent un sens plus auguste que cette nuit, quand, au fond des tranchées, ils retentiront à nouveau.

Paix sur terre !

La veillée s’est achevée, cette veillée que la jeunesse et le courage de nos fils auront su rendre joyeuse et gaie, pendant qu’au fond d’eux-mêmes, des nuées de chers et profonds souvenirs les envahissent peu à peu.

Ils riront peut-être, s’offrant les uns aux autres l’aumône d’une gaieté apparente, pendant que leur âme sera ailleurs, ailleurs dans l’enclos tant aimé du nid familial ou du pays natal.

Peu à peu, sous l’emprise de toutes ces ressouvenances, ils oublieront en réalité et le sombre décor où ils se trouvent, et le canon qui sans doute scande et martèle les minutes et les heures qu’ils passent, et le froid qui les glace ; car pour eux aussi sans doute, comme pour les divins voyageurs de Bethléem, pour eux « il n’y a pas de place dans les hôtelleries », c’est-à-dire dans les maisons chaudes et lumineuses, et un pauvre abri de rencontre, froid et délabré comme la crèche, leur est assigné ; ils oublieront tout ce dont ils souffrent, et une grande chaleur inondant leur coeur détendu, ils s’abandonneront à la douceur de toutes les pensées qui les assaillent et qui les rendent si forts.

Et le recueillement se fera.

Il est complet.

Et minuit sonnera ! Minuit, l’heure solennelle, qui, il y a près de deux mille ans, a libéré le monde, minuit l’heure du Sauveur, l’heure choisie par Lui pour descendre sur la terre.

Et l’Étoile se lèvera !

Et du fond de toutes les tranchées, tous les regards et tous les coeurs se fixeront sur l’Étoile, comme de tous les points de la France, des plus lointaines campagnes, de nos villes les plus peuplées, ils s’y fixeront également dans un mouvement infini d’amour, dans un égal réveil de nos sentiments les plus purs et les plus forts pour que dans une même confiance et avec un même espoir, sous le feu et la lumière d’en haut, s’opèrent les rencontres qui consolent et qui fortifient.

Paix sur terre !

Écoutons cet écho qui arrive jusqu’à nous : c’est au seuil des champs de bataille d’hier, d’aujourd’hui ou de demain la messe de Noël qui commence : écoutons cet écho des paroles éternelles, mais si doux et si puissant à la fois que leur charme nous envahit et nous étreint tout ensemble.

Écoutons ces paroles et croyons à leur réalisation certaine avec une invincible foi. Celui qui les a prononcées n’a jamais erré, et ceux qui nous les rappellent maintenant, ceux qui les chantent dans une conviction magnifique et splendide, qui sont-ils, en effet, sinon des hommes de bonne volonté à qui fut faite la divine Promesse !

Et nous qui vivons dans les réalités d’une guerre meurtrière et cruelle, dont le monde épouvanté subit l’abominable vision, nous qui sentons peser sur nos épaules un joug d’horreur et de souffrance, nous qui apercevons sans cesse l’horizon illimité des champs de bataille et de carnage, nous qui avons vu couler tant de sang vermeil et si pur, nous qui avons entendu des clameurs de mort et de destruction, dans la nuit où nous sommes, comme les pâtres abandonnés sur les sommets du désert, nous les écoutons avec un ravissement infini, les mots de la Promesse céleste :

Paix ! Paix ! sur la terre !

 

 

Georges MAZE-SENCIER,

Les vies héroïques,

Perrin, 1915.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net