Printemps de l’âme
C’EST le rayon divin, le bonheur espéré
Quand se traînent sur nous les heures monotones,
C’est l’astre-roi perdu dans les brumes d’automnes,
Qu’on attend comme un dieu, loin du ciel égaré.
C’est la première fleur, timide et frémissante
Penchant son front joyeux sous l’herbe du chemin.
C’est le premier oiseau que surprend le matin
Hésitant, à l’essor de son aile naissante.
C’est l’insecte brillant, dans l’espace éperdu
Le zéphyr se jouant sur les feuilles nouvelles ;
C’est l’oubli désiré des souffrances mortelles
Et l’hymne de l’amour en tous lieux entendu.
C’est le concert des nids, c’est la fraîcheur des roses,
Et la vie à longs traits, s’abreuvant de soleil
Tout respire, et sortant d’un funèbre sommeil
La terre ouvre ses flancs sur les plantes écloses.
C’est le blé répandu par le vaste sillon
C’est la chanson du pâtre et, sous nos toits, fidèles,
C’est le retour hâtif des vives hirondelles
Et le folâtre vol du premier papillon.
C’est le calme des nuits, quand la pâle déesse
Promène son croissant sur le frisson des eaux,
Le lézard vert au pied des flexibles roseaux,
La puissante nature aimante et charmeresse.
Les lilas entr’ouverts par Avril nouveau-né
La solitude à deux, la retraite choisie ;
C’est le feu créateur de toute poésie
Et, des jeunes plaisirs, le regret obstiné.
C’est l’azur, enfermant sous son manteau splendide
L’ombre avec la clarté, les hommes et les dieux ;
L’esprit robuste et fier, l’âme plus près des cieux
Sereine, dédaignant la Fortune perfide.
C’est le parfum des prés, la source de cristal
S’échappant, des rochers, sur le velours des mousses,
Les prémices exquis des choses les plus douces
Où s’enivre le cœur en son rêve idéal.
C’est la force et la foi guidant nos pas sans trêve
Vers l’horizon lointain de l’immortel espoir,
La blanche illusion qui nous cache le soir
Dans l’éphémère éclat d’un beau jour qui se lève.
C’est, des mondes errants sur notre obscurité,
L’attrait de l’inconnu que l’impossible voile ;
C’est la fraternité de l’être et de l’étoile
Qui, sans cesse, nous suit d’un regard attristé.
C’est ce que l’on adore et ce qui vous enchante,
De nos désirs si grands l’impérissable essor ;
Ce qu’au seuil du tombeau nous regrettons encor,
Et qui nous fit trouver l’existence attachante.
C’est ce qu’en un instant de sublime pitié
Nous laisse le destin, prodigue en ses colères :
Nos enfants si chéris, nos bonnes vieilles mères
Et le loyal appui d’une sainte amitié.
Mme C. MAZOYER.
Paru dans La Sylphide en 1897.