L’horloge
Elle a l’air vaguement humaine
Avec sa face d’émail blanc,
Et sa robe couleur de chêne
Où bat son cœur rythmique et lent.
Elle habite un coin solitaire
Où l’araignée a son réduit,
Et fait son œuvre de mystère
Sans se hâter, le jour, la nuit :
Elle vit à l’écart, étrange
Et respectée ; on la défend
Du heurt des chaises qu’on dérange
Et des gambades des enfants.
L’horloge valétudinaire
Craint les caprices des saisons ;
Elle vibre aux coups de tonnerre,
Le vent lui donne le frisson.
Elle a peur du cahot des roues,
Des portes qu’on ferme trop fort ;
Les jours de pluie, elle s’enroue,
Et le gel des grands froids l’endort.
Un souffle, un rien la contrarie,
Souvent même, on ne sait pourquoi,
S’arrête la fragile vie
Dont palpite son cœur de bois.
*
Tout dort. Rompus de lassitude,
Les hommes sont ensevelis
Entre leurs draps de toile rude,
Dans les ténèbres des grands lits.
Les troupeaux gisent près des crèches ;
Les bœufs, dans la paille affaissés,
Rêvent des prés, de l’herbe fraîche,
Et des sillons qu’ils ont tracés.
Le chien dort, et le coq sonore
Se tient muet sur son perchoir,
Car le jour n’est pas près d’éclore
Et le côté de l’aube est noir.
Le sommeil tient aussi les choses :
Les outils qui vivent dehors,
Les meubles que les murs enclosent
Et la maison même, tout dort.
Seule, dans l’anxieux silence,
Seule vivante en l’ombre immense,
L’horloge obscure ne dort pas,
Comme un pas lent, mais jamais las,
Ou comme le pouls d’une artère,
Ou le battement d’un cœur sourd,
Elle fait son brait solitaire,
Toujours, toujours, toujours, toujours.
Louis MERCIER, Le Poème de la maison.
Recueilli dans Les poèmes du foyer.