La maison

 

 

À mi-côte, au milieu des vergers et des terres,

La maison de chez nous ne se voit pas de loin,

Car, pour vivre des jours pacifiques, nos pères

Bâtissaient en des lieux ombreux et solitaires

Et cachaient aux regards leur demeure avec soin.

 

Non plus qu’eux, n’ayant pas le désir de connaître

Le monde qui s’étend à l’entour, la maison

N’élève son vieux toit qu’à peine, et ses fenêtres

Contemplent doucement le pays des ancêtres,

Dédaigneuses de voir un plus vaste horizon.

 

Mais elle connaît bien le modeste héritage

Dont voilà très longtemps qu’elle suit le destin

Des terres et des prés elle sait le partage,

Où commence la vigne, où finit le pacage,

Et le bois qui s’enclave au domaine voisin.

 

La maison sait les noms des champs où l’on travaille

Et ce qu’on leur confie après chaque labour ;

Inquiète, elle suit le progrès des semailles,

Et ses murs sont joyeux, et ses greniers tressaillent

Quand la moisson prospère et que les blés sont lourds.

 

Mais surtout le regard de ses fenêtres vieilles

Accompagne les siens qui besognent dehors ;

En secret, à travers le rideau de la treille,

Elle suit au sillon les laboureurs, et veille

Sur les troupeaux épars lorsque le berger dort.

 

Et si le poids du jour par moment les oppresse,

S’ils ont faim, s’ils ont soif, s’ils sont las et meurtris,

Pleine de réconfort et riche de tendresse,

Toute prochaine, au bout du sentier qu’ils connaissent.

La maison maternelle et douce leur sourit.

 

Car tout ce que la vie a de plus favorable

La fidèle maison le garde sous son toit ;

C’est là qu’est le cellier, et la huche, et la table,

Le berceau des enfants et le lit vénérable

Où le maître a conduit l’épouse de son choix.

 

Aussi, lorsque le soir marque la fin des peines,

Lorsque les angelus quittant les bons clochers,

Courent joyeusement vers les terres lointaines

Pour dire aux tâcherons qu’il est temps qu’ils s’en viennent ;

Lorsqu’on entend le pas des bœufs se rapprocher.

 

Sûre de leur retour avec la nuit tombante,

La maison en songeant aux siens se réjouit ;

Son toit fumant déjà révèle une âme aimante,

Et comme un cœur rempli d’allégresse et d’attente,

Le feu de son foyer palpite dans la nuit.

 

 

 

Louis MERCIER, Le poème de la maison.

 

 

 

 

 

 

 

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