À l’auteur de la Coupe de l’exil 1

 

 

OUI, ta lèvre a tari la coupe de souffrance,

Longtemps tu parcourus la terre des douleurs,

Et rien ne te restait, pas même l’espérance,

Pas même un vieil ami pour essuyer tes pleurs !

 

Et seul tu gémissais bien loin de ta patrie,

Exilé, vers ses monts tu reportais tes yeux ;

Sur un sol étranger le rameau de ta vie

Se flétrit pour renaître ici plus radieux.

 

Ton âme ballottait sur une mer d’orage,

Naviguant à travers la tempête et la nuit ;

Car elle avait quitté le fortuné rivage

Où toujours apparaît le phare, qui nous luit.

 

Nouveau Job, tu courbas le front sous la misère,

Comme lui tu marchais seul avec le malheur,

Et, comme lui, tu bus les eaux de la colère

Que versait dans la coupe un ange du Seigneur.

 

De son trône éternel Jéhova vit tes larmes,

II comprit de ton cœur les immenses désirs ;

Dans tes maux tu brûlas de connaître ses charmes,

À l’éclat de son nom de mêler tes soupirs.

 

Puis l’on vit tes genoux s’abaisser sur la pierre,

Ton sein se reposer sur le sein de Jésus ;

Le Seigneur acceptait l’encens de ta prière,

Et versait dans ton cœur des plaisirs inconnus.

 

Un prince généreux te rendit la patrie,

Vers le toit paternel tu tournas ton regard ;

Et tu pleurais alors !... hélas ! la main hardie

D’un avide héritier avait ravi ta part !

 

Pour calmer ton chagrin tu saisis une lyre,

Et des chants de douleur, de plaisir tour à tour

Coulent harmonieux de ton brûlant délire ;

Mais le malheur attriste et ta nuit et ton jour.

 

Triomphe de l’orage, ô sublime poète !

Qu’importe qu’ici-bas il te faille souffrir ?

Le cygne d’Albion volait dans la tempête,

Le Tasse rayonna quand il allait mourir.

 

Redis, redis encor des hymnes d’harmonie,

J’ai vu notre Savoie applaudir tes concerts ;

Regarde avec amour tressaillir ta patrie,

Et montrer son soleil aux yeux de l’univers.

 

Le monde, nous dis-tu, s’élève sur des ruines,

Il chancelle déjà comme un temple ébranlé ;

Le vice aurait chassé les célestes doctrines !

Lui seul serait aimé de notre humanité !

 

Barde, console-toi, le Christ règne au Calvaire,

II subit maintenant un horrible combat ;

Mais sa main va briser le marbre funéraire

Qui semble le cacher dans l’ombre du trépas.

 

Le Seigneur t’a choisi pour chanter sa victoire,

Il posa sous tes doigts le luth des séraphins ;

Archange d’ici-bas, oh ! célèbre sa gloire,

Tes accents couvriront les blasphèmes humains.

 

La haine te poursuit jusques dans ta patrie,

Le serpent s’est dressé vers l’aigle radieux ;

Poète, des méchants brave la calomnie,

Ils rampent sur la terre et tu voles aux cieux !

 

                                         Signé : G. MERMILLOD,

                                       élève de Saint-Louis du Mont.      (1844)

 

 

 

Mgr Gaspard MERMILLOD.

 

Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,

publié par Charles Buet, 1889.

 

 

 

 



1 Jean-Pierre Veyrat, poète savoisien, 1810-1844.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net