Poètes
SONNETS.
I.
Poètes qui chantez quand votre instinct frissonne,
Porte-voix du Seigneur ! vous jetez vos accords,
Car un souffle d’en-haut a glissé dans vos corps,
Car vous rendez au ciel ce que le ciel vous donne.
Enfants-rois, vous portez la brillante couronne
Comme un palmier sa fleur, sans peine, sans efforts ;
Votre œil de votre sein ignore les trésors ;
Quand vous nous étonnez, jamais il ne s’étonne.
Oh ! mes oiseaux naïfs, que vous êtes heureux !
Pour vous la terre encor a ses flots savoureux,
Le lait du Paradis, la céleste ambroisie ;
Votre veille est limpide et doux votre sommeil,
Et lorsque Dieu vous dit : Remontez au soleil,
Vous mourez de vieillesse et non de poésie.
II.
Malheur, malheur à vous, poètes qui pensez,
Dont l’esprit va creusant les abîmes du monde,
Qui savez mesurer la distance profonde
Entre le ciel et vous, pauvres anges blessés !
Vous entendez les voix des univers, pressés
Dans le grand tout, cette orgue où l’harmonie abonde ;
Mais vous cherchez en vain quelque son qui réponde
À toutes les grandeurs qui vous ont terrassés.
Votre pensée, hélas ! se tord dans l’impuissance,
Ou votre chant jaillit comme un cri de souffrance,
Déchirant sans pitié le flanc qui l’a porté ;
Car votre poésie est le sang de l’artère,
La chair de votre chair, – et la mort sur la terre,
Souvent vous frappe au seuil de l’immortalité.
Le prince Élim METSCHERSKY.
Paru dans La France littéraire en 1835.