Le char rustique

 

 

Des buissons pleins de fleurs, de chants !

Des laboureurs dans tous les champs !

Et l’aube au ciel ! et dans la plaine

Le doux printemps qui murmurait !...

Le vent soufflait sa tiède haleine

Sur le taillis qu’il effleurait :

Au-dessus de notre voiture

Pendaient les rameaux des pommiers,

Quand les grands bœufs, par les sentiers,

Nous emmenaient à l’aventure.

 

– J’étais assis sous le bouleau,

Dans le gazon, au bord de l’eau,

Cueillant violette et pervenche,

Écoutant jaser le grillon,

Lorsque je vis la fille blanche

Piquer les bœufs de l’aiguillon.

À son côté, sous la ramure

Des chênes et des châtaigniers,

Les grands bœufs roux, par les sentiers,

M’emmenèrent à l’aventure !...

 

L’air était doux : c’était avril !

Les linots faisaient leur babil ;

Les fleurs s’entr’ouvraient dans la mousse,

L’alouette planait aux cieux !...

Je n’entendais que sa voix douce,

Je ne voyais que ses beaux yeux !

Les tresses de sa chevelure

Flottaient parmi les noisetiers

Et les grands bœufs, par les sentiers,

Nous emmenaient à l’aventure !

 

Le char rustique s’avançait

Et le soleil resplendissait.

Je disais à la vierge blonde :

« Comme il fait bon vivre en ce jour !

» Sens-tu dans l’air, sens-tu sur l’onde

» Palpiter un souffle d’amour ?

» Entends-tu le vague murmure

« Qui s’élève des églantiers ?... »

– Les grands bœufs roux, par les sentiers,

Nous emmenaient à l’aventure !... –

 

Les papillons et les oiseaux

Frôlaient nos fronts ; et les roseaux

Penchaient vers nous leurs iris jaunes ;

Les génisses, parmi les prés,

Paissaient, sous l’ombrage des aulnes,

Les gazons de fleurs diaprés.

Ô le réveil de la nature !

Salut, beaux rayons printaniers !...

– Les grands bœufs roux, par les sentiers,

Nous emmenaient à l’aventure.

 

Le vieux clocher sonnant midi

Derrière le bois reverdi,

Jeta sa voix dans l’air limpide :

L’Angelus tinte : implorez Dieu !

Vers moi levant son front candide,

La vierge alors me dit adieu !

Un bouquet de fraîche verdure

Tomba de sa main à mes pieds

Et les grands bœufs, par les sentiers,

L’emmenèrent à l’aventure !... –

 

Au fond des prés, dans les champs verts,

Au bord des sources, à travers

Les taillis semés de pervenches,

J’ai foulé l’herbe pas à pas,

J’ai marché, rêveur, sous les branches,

Hélas ! en vain : car je n’ai pas

Revu la vierge à voix si pure

Depuis qu’à l’abri des sorbiers

Les grands bœufs roux, par les sentiers,

L’emmenèrent à l’aventure !

 

 

 

Achille MILLIEN.

 

Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.

 

 

 

 

 

 

 

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