Le poète aveugle

 

 

            Grand Dieu ! je suis aveugle et vieux !

Et tous croient qu’avec Toi je suis en disgrâce,

Déserté par tous mes semblables dédaigneux,

            Ma confiance ne se lasse!

 

            Je suis faible, et Toi seul es fort :

Je ne me plains pas, mais je peux te voir, mon Roi,

Pauvre et bien vieux, je t’appartiens, quel doux confort !

            Ô Père Suprême, avec foi !

 

            Ô Seigneur miséricordieux !

Quand les hommes sont bien loin, tu restes tout près,

Et quand ils passent à côté de moi, haineux,

            J’entends Ton chariot en paix !

 

            Ton visage glorieux, divin,

Est tourné vers moi, tes saints, rayons de bonté

Luisent sur ma sombre demeure et mon chemin :

            Il n’y a plus d’obscurité.

 

            À genoux, et tout plein d’espoir,

Je reconnais ton dessein si bien démontré,

Tu m’as rendu aveugle, que je puisse voir

            Ton saint visage, ô Dieu sacré !

 

            Je ne crains rien, même mourir,

Car mon obscurité est l’ombre de Ton aile,

Sous elle je suis sauf, car là ne peut venir

            Rien de vil et rien d’infidèle.

 

            Ah ! je semble être, en vérité,

Tremblant où n’a jamais été un pied mortel,

Entouré par la lueur du lieu sans péché,

            Vue par le seul Éternel.

 

            Des visions viennent et s'en vont,

Formes de beauté se placent tout près de moi,

Des lèvres d’anges je semble entendre, profond,

            Un beau chant, sans aucun effroi.

 

            Il n’est rien à présent de triste

Lorsque le ciel à mes yeux est associé,

Et que les doux zéphyrs baisent mon front d’artiste,

            La terre est dans l’obscurité.

 

            Dans le climat plus pur des cieux

Tout mon être aurait la joie, mille pensées

Remplissent mon âme, chants sublimes, heureux,

            Charment mon cœur, douces idées.

 

            Ah ! donne-moi mon luth gracieux,

Je sens tous les élans d’un don divin, sans cesse,

Dans mon cœur s’élève un feu céleste et joyeux,

            Point allumé par mon adresse.

 

 

 

John MILTON.

 

Traduit par sir Tollemache Sinclair.

 

 

 

 

 

 

 

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