Mireille – Chant X
Saintes Maries
Qui pouvez en fleurs
Changer nos larmes
Inclinez vite l’oreille
Devers ma douleur !
Quand vous verrez, hélas !
Mon tourment
Et mon souci,
Vous viendrez de mon côté
Avec piété.
Je suis une jouvencelle
Qui aime un jouvenceau,
Le beau Vincent !
Je l’aime, chères Saintes,
De tout mon cœur.
Je l’aime ! Je l’aime
Comme le ruisseau
Aime de couler,
Comme l’oiseau dru
Aime de voler.
Et l’on veut que j’éteigne
Ce feu nourri
Qui ne veut pas mourir !
Et l’on veut que je torde
L’amandier fleuri !
Ô Saintes Maries
Qui pouvez en fleurs
Changer nos larmes,
Inclinez vite l’oreille
Devers ma douleur !
De loin je suis venue
Chercher ici la paix
Ni Crau, ni landes,
Ni mère émue
Qui arrête mes pas !
Et du soleil qui darde
Ses clous
Et ses épines
Je sens les rayonnances
Qui poignent mon cerveau.
Mais, vous pouvez me croire !
Donnez-moi Vincent
Et gais et souriants
Nous viendrons vous revoir
Tous deux ensemble.
Le déchirement de mes tempes
Alors cessera :
Et de tant de larmes
Mon regard maintenant inondé
Luira de joie.
Mon père s’oppose
À cet accord ;
De toucher son cœur
Ce vous est peu de chose,
Belles Saintes d’or !
Bien que dure soit
L’olive, le vent
Qui souffle à l’Avent
Néanmoins la mûrit
Au point qui convient.
La nèfle, la corme
Si acerbes, quand on les cueille,
Qu’elles font tressaillir,
C’est assez d’un peu d’herbe
Pour les ramollir.
Ô Saintes Maries,
Qui pouvez en fleurs
Changer nos larmes,
Inclinez vite l’oreille
Devers ma douleur !
Frédéric MISTRAL, Mireille, 1859.