Le vieux chêne

 

ÉLÉGIE.

 

 

C’était le roi des monts..... Sous la voûte azurée,

Sa tête se perdait ; large, démesurée,

Pleine d’une imposante et fière majesté.....

Frappé de sa grandeur, on sentait que la force

Et la sève abondaient sous la rugueuse écorce

De ce géant des bois, par Cybèle allaité !.....

 

Car Cybèle l’aimait cet aïeul des grands chênes :

De fluides féconds elle abreuvait ses veines,

Et de sucs nourriciers lui prodiguait les flots ;

Elle entourait ses pieds d’un vert tapis de mousse,

Qu’elle semait de fleurs à l’odeur fraîche et douce,

Pour qu’on y vînt goûter les charmes du repos.....

 

Pauvre arbre, il est déchu ! Plus de vagues murmures,

D’accords mystérieux vibrant dans ses ramures ;

Adieu les nids chanteurs, joyeux et palpitants,

Adieu le peuple ailé, voltigeant sur les branches,

Adieu les frais tapis, de mousse et de pervenches,

Brodés de mille fleurs, sous les doigts du printemps !...

 

Sa couronne est flétrie et son écorce aride ;

Sur son haut front, le temps a de plus d’une ride

Gravé la rude empreinte, avec sa lourde main ;

Un vent triste et plaintif roule autour de la cime,

Semblable à ce bruit sourd, qui monte d’un abîme,

En lugubres échos et court sur le chemin.

 

Comme pour contenir l’espace sous son ombre,

Autrefois s’allongeait, ainsi qu’une nuit sombre,

L’entassement touffu de ses puissants rameaux.....

Du vieux roi dépouillé la pâle chevelure

Peut à peine aujourd’hui, sous sa rare verdure,

Abriter à demi le pâtre des hameaux.

 

L’aurore, le touchant de sa clarté première,

Au faîte, lui posait un bouquet de lumière,

Comme un panache d’or flamboyant et vermeil ;

Et puis, le couronnant de ses splendeurs écloses,

Au feuillage mêlait des touffes de ces roses

Qu’aux sentiers du matin fait fleurir le soleil.

 

L’astre du jour, lassé de sa poudreuse route,

Laissait son char rougi, sur la sublime voûte,

Modérer son essor, aux approches du soir,

Et semblait, oscillant sous les rameaux antiques,

La flamme balancée, au fond des saints portiques,

Par de pieuses mains, dans l’or de l’encensoir.

 

Maintenant, quand la nuit envahit nos royaumes,

Ses longs bras décharnés sont autant de fantômes,

Qui surgissent dans l’ombre, et troublent la raison.

Et de loin, sur son sein, quand la lune se penche,

On dirait un lambeau de quelque étoffe blanche,

Comme un pâle linceul, flottant à l’horizon.

 

L’aigle volant aux cieux défier la tempête,

Pour échelon souvent prenait sa large tête,

Déployant mieux, de là, son indomptable élan.

Tout est morne aujourd’hui..... la cime désertée,

Par les hôtes de l’air n’est jamais visitée,

Et l’on dirait le front dévasté d’un Titan !.....

 

L’éclair l’a ravagé..... De la nue entr’ouverte,

La foudre en s’échappant sécha sa tête verte,

Comme ces feux sacrés qui consumaient l’autel ;

La foudre sur ses flancs a creusé son passage.

Ainsi le noir chagrin laisse sur le visage,

Où s’imprima son ongle, un sillon immortel.

 

Mais, dans la vieille écorce, une ruche bourdonne,

Et, pour payer son toit, une abeille lui donne

Son miel, tribut fécond, son miel blond au regard.

Ainsi le ciel dotant de force la jeunesse,

La femme de beauté, l’âge mûr de sagesse,

Conserve, heureux trésor, la douceur au vieillard !

 

 

 

Gabriel MONAVON.

 

Paru dans La Muse des familles en 1858.

 

 

 

 

 

 

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