Aux champs
Au maître Jules Breton.
PRINTEMPS
Salut aux jours plus longs ! Salut au renouveau !
Dans la plaine sans fin, voici le blé nouveau
Qui partout reverdit. Sur la terre il déploie
Son manteau d’émeraude et, paisible, il ondoie,
Sous la brise légère, en flots calmes et doux
Que l’hirondelle effleure, et dont aucun remous
Ne trouble le repos. Mille plantes nouvelles,
Marguerites, bluets, coquelicots, nielles,
Apparaissent déjà parmi les blés fleuris
Où les oiseaux des champs vont chercher des abris,
Et, dans l’air embaumé, voici que, dès l’aurore,
Éveillant à la ronde un écho plus sonore,
Le chant de l’alouette et le cri des grillons
Formant comme un concert qui monte des sillons.
ÉTÉ
Salut aux jours brûlants de l’aube au crépuscule !
Le rude travailleur aime la canicule,
Qui met le hâle au front et l’abondance aux champs.
Le labeur de l’été, c’est le pain des enfants ;
Pour la saison d’hiver, c’est la vie assurée,
Quand la journée est courte et longue la soirée. L’été, sous le ciel bleu resplendit le blé d’or,
Que mûrit le soleil des jours de thermidor,
Et que les moissonneurs, d’un geste circulaire,
En cadençant leurs pas, coucheront sur la terre
Quand l’août sera venu ; plus tard, près des maisons,
On plantera le mai, puis filles et garçons,
Prolongeant dans la nuit leurs chansons et leurs rondes,
Célébreront la fin de ces moissons fécondes.
AUTOMNE
Salut au vin nouveau ! Salut au vin français,
Qui coule du pressoir tout pétillant et frais !
L’homme s’en réjouit et, dans la plaine nue,
Il reprend le travail dont l’heure est revenue ;
Dans les vastes guérets, comme aux flancs des vallons,
Lentement les grands bœufs vont tracer les sillons
Où bientôt le semeur, de son geste superbe,
Jettera le froment qui demain sera l’herbe,
Plus tard le pain de tons. À voir son bras puissant
Qui, depuis le matin jusqu’au jour décroissant,
Ne se lasse jamais, on dirait qu’il atteste
Qu’il a fait son devoir – que Dieu fera le reste !
HIVER
Salut au long sommeil dont l’hiver est rempli !
Le travailleur des champs a partout accompli
Sa tâche habituelle. À présent, c’est la neige,
Le givre, les frimas et le sombre cortège
Des longs mois sans soleil. La future moisson
En son germe repose, attendant la saison
Où s’étendra partout sur la terre assombrie
L’éclatante fraîcheur de sa robe fleurie.
C’est ainsi qu’une année aura fini son cours,
Et que l’on comptera parmi les meilleurs jours
Les jours où Dieu nous donne, après l’effort sans trêve,
Avec le vin nouveau la moisson qui s’achève.
ENVOI
Ô vous, les fils des champs, les heureux entre tous,
Des mirages lointains en tous lieux gardez-vous !
Ne cherchez pas plus haut qu’en vos humbles demeures
La richesse et la paix pour vos dernières heures !
À qui vous parlera d’un idéal trésor,
Répondez sans faiblir : « Nous l’avons, le Champ d’or ! »
Félix de MONNECOVE.
Paru dans la Revue septentrionale en 1896.
Pièce ayant remporté le premier prix de poésie
(médaille de vermeil) au concours ouvert en 1896
par la Société dunkerquoise pour l’encouragement
des lettres, des sciences et des arts.