Ensemble
I
Épousés de trois mois, leur bonheur vient d’éclore.
Qui dépeindra la grâce et la tendre gaîté
De ce jeune foyer verdoyant et sonore
Comme un bois plein d’oiseaux par un matin d’été ?
Dans leur nacelle bleue ils voguent loin du monde...
N’entendant que les voix de la brise et de l’onde,
Du fleuve qui les berce ils descendent le cours ;
Leur vie est une fleur où tremble la rosée,
Scintillant au soleil... par la lune baisée...
Ô les fraîches amours !
II
Dans l’ombre du passé s’efface un si doux rêve :
Adieu les longs loisirs et les flots enchanteurs !
Sur la route poudreuse il faut marcher sans trêve,
Et franchir les ravins, et gravir les hauteurs.
Leurs filles et leurs fils, rieuse maisonnée,
Grandissent autour d’eux, et, d’année en année,
Les devoirs plus pressants font les fardeaux plus lourds...
Qu’importe ? Ils sont ensemble, et d’un joyeux courage
Ils fournissent la tâche, ils traversent l’orage...
Ô les fortes amours !
III
Le temps a sur leurs fronts mis sa couronne blanche,
Et, laissant derrière eux les sévères sommets,
Les voici cheminant par le sentier qui penche,
L’un à l’autre appuyés, plus unis que jamais.
Ils ont vu leurs enfants tour à tour disparaître
Pour s’envoler loin d’eux : là-bas... là-haut, peut-être...
Et, la main dans la main, seuls comme aux premiers jours,
Attendant l’heure où Dieu fera tomber le voile,
Ils voient à l’horizon se lever votre étoile,
Immortelles amours !
Théodore MONOD.
Paru dans L’Année des poètes en 1894.