À une âme désolée
AINSI donc toujours la tristesse
Obscurcira ton front si pur
Et je verrai couler sans cesse
Les pleurs de tes grands yeux d’azur ?
Ces yeux où ton ange lui-même
Envoyé pour te soutenir
Peut, dans une extase suprême,
Se mirer sans jamais rougir.
La peine succède à la peine,
Chaque jour porte une douleur,
Et tout cela forme une chaîne
Hélas, bien lourde pour ton cœur !
Sans pitié, le Malheur austère
Dans une insolente fierté
A ravagé le champ prospère
Où croissaient tes fruits pour l’été.
L’arbre est renversé... la fortune
Sur laquelle tu reposais
T’a quitté : c’est la loi commune.
Moi qui te parle, je le sais.
Je sais que l’arbre où l’on s’abrite
Par l’orage est souvent brisé
Et que le bonheur passe vite
Comme l’eau d’un fleuve épuisé.
Je le sais, sous le poids des haines
Que dans le monde il faut subir
Accablés d’ennuis et de peines
Nous désirons parfois mourir.
Tu dis qu’ici-bas tout nous leurre
Que la vie est un noir désert...
Ah ! si ma pauvre âme qui pleure
Te contait ce qu’elle a souffert !
Si dans mon passé triste et sombre
Tes yeux pouvaient quelques instants
Contempler les douleurs sans nombre
Qui remplirent mes jeunes ans,
Les mépris, les dédains pénibles,
Les abandons immérités
Et les tortures invisibles
Qu’en silence j’ai supportés ;
Si tu connaissais mon martyre,
Les revers qui m’ont souffleté,
Tu serais bien contraint de dire
Que ton sort est rose à côté.
Et malgré ma longue souffrance
Tu me vois cependant joyeux :
Dans mon cœur chante l’Espérance
Le plus beau des oiseaux des cieux.
C’est que dans mes peines extrêmes
Je me suis courbé sous la main
De Celui qui mieux que nous-mêmes
Du bonheur vrai sait le chemin.
Oh ! fais comme moi, je t’en prie,
Élève tes regards vers Dieu,
Alors, belle âme endolorie,
Je te verrai sourire un peu,
Car je l’aime bien ton sourire
Paisible et doux, triste parfois
Comme une source qui soupire
Parmi les fleurs au fond d’un bois.
Souvent l’épreuve est salutaire :
Nous n’aurions pas le pain nouveau
Si l’épi blond jeté dans l’aire
N’était broyé par le fléau.
Ainsi notre âme, épi céleste,
Sous le pressoir de la douleur
Devient plus pure, plus modeste
Et plus agréable au Seigneur.
*
* *
Autour de nous tout est mystère,
Regarde les oiseaux des champs
Lorsque leur nid tombe par terre
Cessent-ils pour cela leurs chants ?
Leur existence est plus amère,
Le ciel pour eux s’est assombri,
C’est vrai ; mais aux petits sans mère
Dieu donne toujours un abri.
Vois les charmantes hirondelles,
N’ont-elles pas leur frais berceau,
Et pour nourrir leurs membres frêles
Le moucheron, la goutte d’eau ?
Montre donc un plus grand courage
Dieu ne nous éprouve qu’un temps :
Après les horreurs de l’orage
Les astres sont plus éclatants.
Et puis, ne suis-je pas ton frère ?
Dans la joie et dans la douleur
Toujours ton âme qui m’est chère
De la mienne sera la sœur.
Crois-moi, le bonheur sur la terre
Ce n’est ni la gloire ni l’or :
Après Dieu, l’Amitié sincère
Voilà le vrai, le seul trésor.
Henri MONTET.
Paru dans La Sylphide en 1897.