La crèche de Bethléem
Celui que dès longtemps annonçaient les prophètes
En un pompeux berceau, par de royales fêtes
Ne fut pas accueilli quand il reçut le jour,
C’est dans l’obscurité d’une pauvre chaumière
Que son humilité vit briller la lumière,
Le toit d’un charpentier fut son premier séjour.
Bien que son front portât l’auréole divine
Du peuple il désira tirer son origine,
Par ce choix révélant son mépris des grandeurs,
Partage infortuné d’un destin misérable,
Il voulut pour berceau la crèche d’une étable
Que le ciel entourait d’invisibles splendeurs.
Le voilà, reposant dans ses vulgaires langes,
Le sujet éternel de l’hosannah des anges
Dont le nom fait vibrer les harpes dans les cieux,
Lui qui doit commander ici-bas aux tempêtes,
Au bout de l’univers étendre ses conquêtes
Et remplir les échos de ses faits merveilleux.
Lui qui dans le temps court de son pèlerinage,
Par toutes ses vertus signalant son passage,
Doit être salué comme un triomphateur
Et dont le doigt divin levant tous les obstacles,
Ainsi que des joyaux prodiguant les miracles,
Exerce sur le peuple un prestige vainqueur.
Celui qui de l’aveugle ouvrira la paupière,
Qui de Lazare mort soulèvera la pierre
Par ce mot prononcé : Lazare, lève-toi !
Sa prière au ciel monte et le Seigneur l’exauce,
Et sous son blanc linceul le mort sort de sa fosse
Devant les cœurs saisis de stupeur et d’effroi.
Lui que doit exalter Jérusalem la sainte
Quand de ses nobles murs il franchira l’enceinte
Aux acclamations d’un peuple transporté,
Qui des mortels en lui saluant le plus sage
De verdoyants rameaux jonchera son passage
Et bénira son nom mille fois répété.
Celui de qui la mort, ineffable mystère,
Jusqu’en ses profondeurs ébranlera la terre ;
Auguste sacrifice inspiré par l’amour,
Dont le sang à Satan arrachant ses victimes.
Flot purificateur, lavera tous les crimes
Demandant à nos cœurs un semblable retour.
Lui qui sur le trépas remportant la victoire
Doit sortir de la tombe environné de gloire
Aux regards stupéfaits des gardes vigilants
Qui verront, éblouis par sa vive lumière,
Un ange de ses mains faire rouler la pierre
Et Christ ressuscité s’en aller à pas lents.
Lui que des bienheureux, des séraphins, des anges
Célébreront au ciel les brillantes phalanges
Mêlant son nom au chant de mille harpes d’or.
Cependant que Jésus en qui tout cœur espère,
Ainsi qu’un conquérant assis près de son Père,
De ses félicités nous garde le trésor.
Enfant prédestiné pour des destins étranges,
Goûte un heureux sommeil dans tes modestes langes,
Qu’il ne soit pas troublé de tristes visions.
Tu viens pour échanger tes célestes ivresses
Contre nos maux, nos deuils, nos amères tristesses.
Ton cœur veut compatir à nos afflictions.
Transfuge généreux des demeures divines
Tu veux te couronner de sanglantes épines
Et mourir comme nous, de quelle mort ? la croix !
Tu viens pour consommer l’immense sacrifice,
Tu veux jusqu’à la lie épuiser le calice
Et sentir dans ton sein passer tous les effrois.
Tu viens, le cœur ravi d’un amour ineffable,
Racheter par ta mort notre destin coupable
Et lui reconquérir sa première splendeur.
Tu viens, prenant ta part aux terrestres misères,
Mêler ton baume saint à nos douleurs amères
Et nous porter du ciel nos titres de grandeur.
Sois à jamais béni ! Quelle âme ne s’embrase
Du feu d’un saint amour, d’une divine extase,
Devant la profondeur d’un pareil dévoûment !
À peindre nos transports quels mots peuvent suffire,
Quels sons assez touchants pourrait former la lyre
Pour peindre de nos cœurs tout le ravissement ?
Étoiles qui brillez dans l’azur sans nuages,
Que votre doux éclat conduise ici les mages,
Qu’ils viennent adorer dans sa crèche l’Enfant.
Les voici ; leur bonheur ne peut pas se décrire,
Ils portent dans leurs mains et l’encens et la myrrhe,
Ils sont tombés aux pieds de Jésus triomphant.
Mages, faites monter vers Dieu votre prière,
De cette crèche un jour sortira la lumière ;
De ce pompeux soleil saluez le matin,
Regardez l’avenir que sa splendeur inonde.
Mages, prosternez-vous ! cette crèche est un monde
Où de l’humanité repose le destin.
Alfred MONTVAILLANT,
Les roses de Saron, 1905.